Viré même de Pôle emploi !

par Fabian 13/02/2024

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Même à Pôle emploi ils semblent désemparés, devant le flicage des chômeurs qu’on exige d’eux. Mais il faut bien ça, pour creuser la piscine de Pierre…

Amiens, le 19 juillet 2023

Et merde !
Viré de la réunion Pôle Emploi ! Pour une première, je fais fort…
C’était pourtant prometteur : une réunion intitulée « Des métiers qui recrutent ? Nous sommes là ! ».
De quoi vous mettre l’eau à la bouche.
Mais en arrivant devant l’agence, où j’accroche mon vélo, la place est déserte.
Je marche un peu, je cherche, et me voici au pied du bien nommé « Bâtiment Oxygène ». Le lieu idéal pour secourir les personnes à bout de souffle, j’imagine. J’essaye de voir si des foules de chômeurs avides de bosser se pressent à l’intérieur, mais impossible de voir derrière les vitres opaques.
J’étais venu une seule fois ici, jusque‑là. En novembre dernier, j’y avais rencontré ma conseillère, sympathique au demeurant, après mon inscription via le site internet. « En fait, vous ne faites pas partie des gens à qui on propose un suivi très régulier. Étant donné les démarches que vous menez, vous n’avez pas besoin de nous. On se redonne rendez‑vous en juin prochain pour faire le point » qu’elle m’avait dit, au bout de notre échange. En guise de nouveau rendez‑vous, j’avais surtout eu droit à un questionnaire auquel je devais répondre en ligne...

« Comment on rentre à l’intérieur, déjà ? »
Ah, oui. L’interrupteur sur la gauche. Je presse sur le bouton, et une voix humaine, tout de même : « Oui, bonjour. Vous avez rendez‑vous ? »
À peine entré, un agent se précipite sur moi, me désigne la machine à gauche de la porte comme LE passage obligatoire, « check point » du demandeur d’emploi.
Après avoir salué ce gardien numérique en lui présentant mon code, car je suis aussi un numéro, je m’installe dans la salle d’attente. Tout comme on m’a dit de faire.
J’observe autour de moi. Ça ne respire pas la joie, entre les têtes baissées, et une jeune femme qui m’évoque une stagiaire, qui hésite à diriger les personnes vers tel ou tel écran.
« Ceux qui ont rendez‑vous avec madame Morel à 13h30 pour les "métiers en tension" peuvent me suivre. » Une femme, dans une tenue décontractée, aux motifs floraux, mais élégante, vient de pénétrer dans le hall.
« Les métiers en tension » ? Ça doit être pour moi. Éducateurs, aides pour les ados en souffrance, y a pénurie, je le vois tous les jours…
On est tous installés autour d’une grande table, sagement, quand la porte s’ouvre. Un autre candidat nous rejoint. C’est le voisin d’attente qui était à ma droite dans le hall. Un chauffeur routier. Il semble particulièrement accablé…
Notre interlocutrice se présente, et nous prévient : il faut que nous soyons prêts à dégainer le téléphone, si elle nous appelle.
Vient le moment de se présenter, à notre tour. Je suis le dernier à passer parmi les six chômeurs dans la salle de réunion. Un peu plus bavard que mes compagnons d’infortune du jour, je balance tout : diplômé éducateur spécialisé en 2001, sortant de vingt années de médico‑social, « suspendu » et perte de mon boulot car pas vacciné contre le Covid (petite moue de compassion de la conseillère Pôle Emploi). Devenu par la force des choses auto‑entepreneur qui propose des ateliers à des adolescents en souffrance, dans une association. Illustrateur et pigiste occasionnel d’articles dans la presse. Propose aussi des ateliers sur le dessin de presse à des enfants en collège, et à des écoles primaires à partir de la rentrée. Formateur en école de travail social, je travaille aussi sur des manuscrits à proposer à des éditeurs, graphistes…
Elle secoue la tête au fil de ma description.
« Mais comment je vais faire si je dois vous appeler pour du travail ? Vous êtes autonome ! Et plus vous allez développer vos activités, et moins vous pourrez répondre à mes propositions » elle maugrée.
— Moi, vous savez, même un petit temps partiel quelque part, ça me va...
— Je n’ai pas trop ce genre de propositions, mais si j’en ai une, je vous fais un petit mail. Je suis quand même étonnée que votre conseillère vous ait inscrit sur cette formation. Mais je pense qu’on leur a mis un petit coup de pression, aux conseillers. Je vais lui écrire un petit compte rendu, mais je ne vais pas vous embêter. Mais c’est bien, vous avez joué le jeu. Je vais vous libérer, vous n’avez rien à faire ici. »

Tu m’étonnes, que tu joues le jeu, sinon, on te sucre tes (maigres) allocations.
Ok, viré, mais gentiment.
Je range donc mes affaires, et salue poliment tout le monde en partant, triste de laisser mes éphémères compagnons de réunion à leur sort. Mais c’est comme ça, aujourd’hui, visiblement : qu’un demandeur d’emploi cumule quelques heures par‑ci par‑là, qu’il ait des bouts d’engagements ici ou là, qu’il survive de petites tâches précaires, quelques heures auto‑entrepreneur, et c’est bon : c’est déjà bien beau. L’uberisation érigée comme modèle, la flexibilité comme philosophie… En rentrant chez moi, je me jette sur la plaque de chocolat pour me consoler.
Hasard ? Coïncidence ? Je tombe sur un reportage de Blast, média en ligne : « France Travail : révélations sur une affaire d’État ».
C’est l’histoire de Marc Ferracci, ami proche d’Emmanuel Macron, son conseiller économique en 2017, ancien camarade de Sciences Po, devenu son témoin de mariage et député du groupe Renaissance. Il est désormais chargé de mener la « réforme » de Pôle Emploi : en résumé, faire glisser ce service vers la privatisation. Et d’après les révélations de Blast, la transformation de Pôle Emploi en « France Travail » profiterait principalement à Pierre Ferracci, père de... Marc Ferracci, grâce à un montage de deux boîtes de reclassement pour salariés, Aksis et Sémaphore.
Pierre Ferracci, également proche de Macron, qui est aussi connu pour avoir fait construire ses villas avec piscine sur un site protégé en Corse, ce qui lui aura valu une amende d’un million d’euros. Espérons juste que, pour ces bienfaiteurs de l’Humanité, il n’y aura pas trop de tracas, de justificatifs à fournir, de contrôles et de menaces comme c’est le cas pour nous, les demandeurs d’emploi…

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