Bougez (plus) avec la Poste !

par Cyril Pocréaux 29/02/2024

On a besoin de vous

Le journal fakir est un journal papier, en vente dans tous les bons kiosques près de chez vous. Il ne peut réaliser des reportages que parce qu’il est acheté ou parce qu’on y est abonné !

Des postes de facteur à supprimer, des tournées à allonger, des vieux à virer mais toujours du courrier à distribuer. Heureusement, les ordinateurs sont là pour résoudre l’impossible équation…

Tarn, 24 juillet
« Ah, je suis énervée ! Pourtant, j’arrête pas de me le dire : "Ça va, c’est pas grave, c’est que du courrier, il est 16h et j’ai toujours pas pris le repas du midi, mais c’est pas grave", je me répète, mais je me dis aussi que si c’est comme ça à l’hôpital, c’est dramatique, ce qui se passe. »
On était juste de passage, pour dire bonjour à la famille, dans le Tarn. Annick, je l’ai jamais vue fâchée, une crème, d’habitude. Mais là, elle déboule dans sa maison, rouge de colère, après sa tournée – elle est factrice.
« C’est quoi, le souci ?
—  On a des petits jeunes qui ont été embauchés au bureau de Poste, à la direction, bac+5 et tout, très bien, mais bon, l’intelligence a dû leur passer à côté…
—  C’est‑à‑dire ?
—  Ben, y a pas moyen de leur parler, d’échanger avec eux. Ils ne travaillent que sur leur ordinateur, ils ne voient que des tableaux Excel, et donc ils te font faire des trucs… Sur les tournées, ils nous envoient là, puis là [elle dessine, avec son doigt, des trajets d’un bout à l’autre du département], puis encore à l’autre bout, tout à l’envers. Ils ne vivent que sur leur ordi. Si y a une route sur leur ordi, même si elle est en sens interdit, même si on ne peut la faire qu’avec un tracteur, ils s’en foutent, ils te la font prendre, et tu dois faire avec.
—  Mais une fois sur le terrain, vous vous en foutez, non, de ce qu’ils disent ? Vous pouvez faire les trajets que vous voulez ?
—  Eh ben non, car on nous prépare les casiers avant la tournée, et on doit tout faire dans l’ordre sinon on ne s’en sort pas, on y passerait des jours. Donc on doit suivre l’ordre de passage qu’ils nous donnent. D’ailleurs, on est surveillés pour ça : on est tracés.

—  Ah oui, quand même…
—  Résultat : on a plusieurs semaines de retard sur certaines tournées. Et ça, tu le rattrapes pas. C’est des lettres qui n’arriveront jamais. Mais bon, c’est que du courrier, hein…
—  C’est dû qu’à ça, le retard ? Les confinements, le Covid, ça a fait des absences, ça a pas dû aider, non plus…
—  Oui, enfin non : le Covid, à la Poste, c’est sûr que tout le monde l’a, sans arrêt. On voit plein de monde, ça circule, donc y a plein d’absents parmi les postiers. Mais ça n’a jamais été un problème, les absents. La différence c’est qu’avant, quand il y en avait, on t’envoyait des remplaçants. Aujourd’hui, y en a plus. Si tu prends quelqu’un en intérim, ça ne marche pas, car il faut qu’il connaisse les tournées, les parcours, et ça c’est fini.
—  Mais les nouveaux directeurs, ça,
ils n’y peuvent rien.
—  Disons surtout que les directeurs, auparavant, ils avaient fait toute leur carrière à la Poste. Ils commençaient en bas de l’échelle, et ils montaient. Donc, une fois arrivés tout là‑haut, ils savaient comment ça se passait en bas, et ils ne nous faisaient pas des trucs comme ils font aujourd’hui... Même le dernier en place, tu pouvais aller dans son bureau, lui expliquer les problèmes que tu avais dans ta tournée. Il écoutait, et il modifiait son projet. Y avait un échange. Aujourd’hui, le petit jeune, non, il écoute plus rien, il s’en fout. Mais bon, il peut être content : il a réussi à nous supprimer quatre tournées sur le bureau de poste, donc il aura une belle prime. »

Les minutes passent, mais la colère ne descend pas.
« De toute façon, son but, c’est de faire partir les gens. Y avait un petit vieux, il n’avait plus qu’un an avant la retraite, il continuait à travailler, et sa femme aussi, mais le jeune, le directeur, voulait le voir partir. Alors il lui a mis un parcours, fallait voir… Même à un jeune en pleine santé, tu lui donnes pas ça. Alors, il a craqué. Il est parti, il ne pouvait pas tenir.
—  Si c’était ses parents qui avaient été à la place du petit vieux, il se serait rendu compte…
—  Même pas ! Son père, sa mère, il s’en fout, c’est pareil, il ne bosse qu’avec son ordinateur. Là du coup il a supprimé la tournée du petit vieux, donc il est content. Tout le monde est crevé, on conduit toute la journée, on n’en peut plus, mais lui est content. On roule sur des routes où on peut pas se croiser à deux, il faut être aux aguets en permanence, tu te rends compte ?, mais lui est content. Sans compter que maintenant, on est en confrontation avec les livreurs. Eux sont payés à la course, alors ils roulent à fond, tout le temps, c’est complètement dingue, ils s’arrêtent jamais. L’autre jour, y en a un qui a failli m’emboîter. Et nous, on traverse des nationales à moitié endormis, on a des trajets impossibles à tenir, mais attention : si on n’a pas nos pompes de sécurité, on a un avertissement, hein. Des pompes de sécurité, pour distribuer le courrier ! Enfin bon, comme je disais, c’est pas grave, c’est que du courrier, c’est pas l’hôpital. Quand je pense à ma copine Sandrine qui va accoucher alors qu’ils viennent de fermer la maternité… »

Écrire un commentaire

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.