Geoffroy Roux de Bézieux, le modeste (2)

par François Ruffin 10/11/2016 paru dans le Fakir n°(75) mai - juin 2016

On a besoin de vous

Le journal fakir est un journal papier, en vente dans tous les bons kiosques près de chez vous. Il ne peut réaliser des reportages que parce qu’il est acheté ou parce qu’on y est abonné !

Pour plus de CDD défiscalisés, Geoffroy se déguise en petit patron de PME.

Lino Ventura l’énonçait, dans les Tontons flingueurs : « Les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît ! »
On dirait la même chose des PDG, aujourd’hui : « Les patrons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît ! »
Ça ose encaisser les subventions et aligner les plans « sociaux ». Ça ose toucher du CICE et se réfugier dans les paradis fiscaux.
Ça ose remettre en cause l’Organisation internationale du travail, et même le travail
des enfants ! « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! »
C’est tout le patronat, on dirait, qui a fait sienne la devise de Danton. Quand on dépasse les bornes, y a plus de limite. Le Crédit Impôt Compétitivité ? Le pacte de responsabilité ? La loi Macron ? El Khomri bientôt ? Ce n’est jamais assez.
Jamais assez d’allègements ! Jamais assez de flexibilité ! Jamais assez de subventions !
Alors, Fakir a dressé le palmarès des pires. Avec cette question lancinante :
alors que les PDG sont si audacieux, pourquoi, devant eux, sommes‑nous si lâches ?

C’était sur le plateau de France 2, durant la présidentielle de 2007. L’émission A vous de juger recevait Ségolène Royal, et avait choisi quelques « Français » pour l’interpeler. Notamment Geoffroy Roux de Bézieux, que Arlette Chabot présenta comme le « président de Croissance Plus », par ailleurs « dirigeant de PME  ».

" Le petit patron se lança donc : Vous avez beaucoup évoqué ‘réconcilier les Français avec l’entreprise’ et y a pas un chef d’entreprise en France qui ne peut pas être d’accord avec ça. Mais on ne peut pas aimer l’entreprise sans aimer aussi les gens qui entreprennent, les riches, qui créent des emplois dans ce pays. Alors est-ce que vous êtes prête, sans tabou, sans dogme, à regarder une simplification pour les PME ? »
Ségolène Royal : Mais oui, bien sûr.
Geoffroy Roux de Bézieux : Et même sur le Code du Travail ?
Arlette Chabot  : Le Code du Travail, ça veut dire quoi ?
Geoffroy Roux de Bézieux : Eh bien, vous avez je crois une mesure qui dit ‘On va pénaliser les entreprises qui embauchent en CDD et récompenser les entreprises en CDI’. Moi, je suis dans les télécoms, je ne sais pas combien de clients j’aurai dans six mois...
Ségolène Royal : Vous aurez déjà les emplois tremplins. Si vous avez besoin d’exporter ou d’un service, si vous avez besoin d’un jeune très diplômé, ce jeune va être payé six mois et mis à la disposition de l’entreprise. C’est ce que je fais déjà dans ma région...
Geoffroy Roux de Bézieux : Et je vais pouvoir le licencier ?
Ségolène Royal : Il n’y a pas de licenciement, pour ainsi dire. Deuxièmement, les exonérations de cotisations seront liées à l’effort fait pour l’emploi. Troisièmement, je suis prête à baisser l’impôt sur les bénéfices s’ils sont réinjectés dans l’entreprise. Alors je ne peux pas vous dire mieux, c’est déjà pas mal...

C’était « déjà pas mal », en effet  : à ce « petit patron », la candidate offrait autre chose que du « dialogue social de qualité  ».
A « petit patron », j’ai rajouté des guillemets. Car sur la page wikipédia de ce Geoffroy, on découvrait un CV nettement plus fourni. « Directeur général de Virgin Mobile France », il siégeait au « conseil de surveillance chez Peugeot-Citroën », le MEDEF le propulserait bientôt à la direction de l’UNEDIC pour le compte du Medef et il se flattait – mais pas en direct devant la France – de « gagner 300 000 € par an  ». Mais voilà qu’à l’antenne, avec trop d’humilité, il portait la voix des «  PME ».
Depuis 2013, Geoffroy Roux de Bézieux vice-préside le Medef.
Et son président, Pierre Gattaz, use de la même astuce : il ne cesse de louer « les patrons de PME et de TPE », qui « sont des héros de la Nation », qui « se battent pour garder leur entreprise en vie », etc.
C’est ainsi : jadis, les archevêques cachaient leur corruption derrière la simplicité des curés de campagne. Désormais, les oligarques et leurs supplétifs se griment en gentilles « PME » de province pour faire avancer leurs intérêts. "

[([**L’arme fatale*]

L’arrogance patronale a cette toile de fond : la mondialisation. Qui, « compétitivité » oblige, leur a assuré trois décennies de victoires…

« Nous attendons aujourd’hui des responsables politiques et institutionnels qu’ils écartent toute mesure protectionniste »

« Les acquis sociaux versus les enjeux mondiaux » : Alexandre de Juniac, le PDG
d’Air France, intitulait ainsi son laïus aux entretiens de Royaumont. Dès le titre,
tout était dit : au nom d’une «  compétition internationale monstrueuse », tout doit y passer, « le droit du travail », «  la retraite  », « les congés »…
Voilà l’arme fatale du patronat.
Pourquoi il se sent pousser des ailes : grâce à la mondialisation.
Pierre Gattaz se transforme volontiers en tour-operator, pour offrir à la CGT un
voyage qui démarre par la Chine : « Quand Philippe Martinez propose de baisser la durée légale hebdomadaire à 32 heures et d’augmenter le SMIC, on ne peut pas dire qu’il ait ce souci [créer de l’emploi]. Il faut que je l’emmène à Shanghai, Palo Alto, Singapour, Séoul. » Parce que, sans doute, là-bas se trouve notre nouveau modèle social, avec des salaires et des acquis à des niveaux acceptables pour le Medef… évidemment, dans cette « course » (au néant ?), le CICE est supposé « renforcer la compétitivité ». Et il ne faut pas embêter Tefal qui « maintient des emplois en France ». Les Mulliez se moquent des frontières, jonglant entre les holdings, tout comme Bernard Arnault et ses paradis fiscaux.

Qu’on y touche, d’ailleurs, qu’on se propose de mettre entre parenthèses cette
« compétition monstrueuse », et ils s’emportent tous en chœur : « Nous attendons aujourd’hui des responsables politiques et institutionnels qu’ils écartent toute mesure protectionniste, protestaient associés les Medefs français, allemands, canadiens, japonais, etc. Nous sommes convaincus que nos économies retrouveront le chemin de la croissance à condition que les pays écartent les mesures protectionnistes. »
C’est que ce libre-échange leur offre tant de victoires. Les PMO – Pays à bas coût de main d’oeuvre – comme armée de réserve. La délocalisation, des emplois, ou des fortunes, comme menace permanente. Le « benchmarking » – en français, la comparaison – qui démontre combien les acquis sont toujours trop coûteux, les salaires toujours trop élevés.
Sauf les leurs, d’ailleurs.
Carlos Tavares, PDG de PSA, vient de défrayer la chronique en doublant son salaire, de 2,75 à 5,24 millions... malgré 17 000 emplois en moins depuis 2013 et trois ans de gel de salaires ! Mais les médias sont venus à son secours :
« Carlos Tavares est l’un des patrons les moins payés de son secteur, loin derrière les dirigeants de Mercedes, Fiat ou encore Ford » (Gilles Boulleau, JT de TF1, 29.3.2016)
« Cette rémunération paraît impressionnante au commun des mortels, mais dans le
secteur automobile, le patron de PSA ets loin d’être le mioeux loti
 », avant de passer en revue les Fiat, Daimler, Hyundaï etc. (Lemonde.fr, 29.3.2016)
Ce benchmarking à l’envers ne date pas d’hier : « Le salaire de M. Michel Pébereau, président de BNP Paribas, se situe, comparé aux salaires mondiaux, tout à faix au bas de l’échelle !  » le défendait son ami Claude Bébéar, ex-PDG d’Axa. « Je constate que les rémunérations européennes sont supérieures d’un tiers à la mienne, se plaignait Thierry Desmarest, PDG de Total, tandis que les rémunérations américaines lui sont supérieures de moitié. » )]

Écrire un commentaire

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Messages

  • Je voulais juste citer la première phrase du livre de Karl MARX "le manifeste du parti communiste",
    L’histoire de l’humanité, c’est l’histoire de la lutte des classes.

  • Bonjour,
    Ce petit mot juste pour signaler une erreur de typographie, qui nuit à la compréhension. Dans l’encadré, à partir de "Parce que, sans doute, là-bas...", il faudrait supprimer l’italique.
    Ce commentaire n’est évidemment pas destiné à être publié.
    Bonne journée, bises.