Discrimination à la Tour Eiffel

par Eric Louis

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Fabien, lorsqu’on le sollicite pour revenir travailler sur la 20ème campagne de peinture de la Tour, n’hésite pas longtemps, à l’aune de son expérience passée. Pendant la formation plomb, un simple SMS met fin, avant même qu’elle ne commence, à une période de travail sûre de deux mois. Une éternité, dans le milieu des cordistes où la norme, c’est le contrat d’une semaine renouvelable à l’infini.

Ce lundi 14 novembre 2022, Fabien revient à la Tour Eiffel.

Revient, parce qu’il y a déjà bossé. En tant que cordiste. A l’occasion de la 20ème campagne de peinture.

Environ tous les 7 ans, la vieille dame métallique plus que centenaire reçoit sa petite cure de jouvence. D’autant que bientôt, les yeux et les caméras du monde entier seront braqués sur Paris. Hors de question de montrer un tas de ferraille bouffé de rouille à l’occasion des Jeux Olympiques d’été de 2024 !

Alors, depuis 2019, des équipes se succèdent, pinceau en main. Mais avant la caresse des pinceaux, c’est le fracas des marteaux. Les éléments se corrodent. Les anciennes peintures cloquent. Il faut assainir avant d’appliquer la peinture.

Et au cœur des couches de peintures les plus anciennes, du plomb. Que les ouvriers écaillent. Libérant ainsi de volatiles poussières de plomb sur la capitale. A 200 ou 300 mètres de haut, on n’ose imaginer la portée de ces particules poussées par un vent taquin…

Et que dire des sorties scolaires organisées sur la Tour, dont les gosses mangeaient leur pique-nique, assis par terre, les mains traînant sur le sol contaminé.

A tel point que les médias s’étaient déjà alarmés de ce scandale sanitaire.

Avec l’incendie de Notre Dame en 2019, les parisiens ont plus de chance de choper le saturnisme que de trouver un Vélib en état de rouler.

Les ouvriers sont évidemment en première ligne. Au moins eux portent des protections adéquates.

Ce n’a pas toujours été le cas. En 2020, Fabien, alors en poste sur le monument, avait listé, avec son équipe les carences en terme de protection :

  • Cartouches filtrantes non conformes, et au surplus non renouvelées dans les temps.
  • Combinaison de travail non-conformes.
  • Absence de formation et d’information sur les tâches à accomplir.
  • Mode opératoire d’évolution sur la structure non fourni.
  • Absence de procédure claire en cas de survenance d’un accident.
  • Absence d’encadrants détenteurs du CQP niveau 2.
  • Différence de traitement salarial entre les salariés titulaires et les intérimaires.
  • Non respect des temps de vacation régissant le port du masque.
  • Manque d’équipements.
  • Absence de fiches de suivi des EPI. (Équipement de protection individuelle)
  • Non respect des règles conventionnelles pour tous les jours de repos en situation de grand déplacement (calendaire, voyage périodique).
  • Modification très régulière des protocoles et des horaires des ouvriers

Une fronde avait été menée afin d’obtenir des conditions de travail conformes aux standards en vigueur.

D’autant que les problèmes n’étaient pas que sanitaires et réglementaires.

Le Code du travail et les conventions collectives se voyaient allègrement écornés.

Un prestataire de l’époque, ERI, avait mis un terme au contrat de toute une équipe de cordistes intérimaires avant le terme de leur mission.

Les indemnités de déplacement n’étaient pas payées à leur juste valeur. Les salaires stagnaient un peu au dessus du SMIC. Les contrats d’intérim étaient établis pour une semaine, sur ce chantier pourtant perenne appelé à durer plusieurs années.

Un bras de fer s’était alors engagé entre les ouvriers et leur employeur, sous le regard des dirigeants de la SETE (La Société d’Exploitation de la Tour Eiffel), bien embêtés de voir leur réputation entachée par de viles problématiques ouvrières.

Il est vrai que les membres du conseil d’administration sont tous des élus, conseillers municipaux de la ville de Paris.

Une réunion avait eu lieu dans les locaux de la SETE, en présence de représentants de travailleurs et ERI à l’issue de laquelle les points litigieux avaient été réglés.

En janvier 2021, ERI rédigeait même une note de service formalisant le principe du paiement des IGD en calendaires en alternance avec la prise en charge de voyage periodiques (défraiement des frais de transport domicile chantier). Une simple application des dispositions conventionnelles, mais un rattrapage substantiel de près de 1000€ par mois sur les fiches de paies des cordistes les plus éloignés de ce chantier situé dans la capitale.

Seulement, peu de temps après, les révélations médiatiques relatives à la contamination de Paris au plomb provenant du chantier avaient mené à suspendre le chantier.

Les travailleurs présents n’ont eu qu’à renter chez eux, étant tous ou presque sous le coup de contrats d’intérim hyper-précaires.

Depuis, la SETE a changé de prestataire. C’est désormais Jarnias qui est bénéficiaire du contrat.

Les conditions sanitaires et les mesures de protection de la santé des ouvriers, obtenues de haute lutte par les travailleurs en 2020 restent néanmoins acquises.

C’est pourquoi Fabien, lorsqu’on le sollicite pour revenir travailler sur la 20ème campagne de peinture, n’hésite pas longtemps.

Il travaille alors sur le pont de Noirmoutier. En intérim, pour le compte de l’entreprise de travaux en hauteur Ouest Acro. Visiblement, les salariés de Jarnias ne se précipitent pas sur ce chantier « de prestige« .

A l’aune de son expérience passée, et sûr des conditions de rémunération, d’indemnisation, et de protection de sa santé, il accepte.

Il s’organise donc pour trouver à se loger sur Paris. Le week-end, il retourne à Strasbourg, où il habite afin de récupérer des affaires. Puis le dimanche, repart à Paris, afin de se rendre disponible le lundi après-midi, afin d’entamer sa mission.

La mission commence par la formation plomb obligatoire pour travailler sur le site.

Il y a là 2 autres cordistes, fraîchement arrivés, comme Fabien. Tout ce petit monde est accueilli par Grégory V., chargé de travaux pour Jarnias sur la 20ème campagne de peinture de la tour Eiffel. Chacun se présente, la formation peut commencer.

Mais juste avant, se déroule une petite scène d’apparence anodine.

C’est un témoin présent dans la salle qui l’explique : « A ce moment-là, Grégory a interpellé Fabien. On se connaît non ? Ce à quoi Fabien a répondu qu’il avait déjà travaillé quotidiennement sur la Tour. Grégory a alors demandé à Fabien s’il faisait partie du syndicat qui manifestait en bas l’an dernier. Fabien a répondu par l’affirmative. Grégory est retourné dans son bureau avec ses collègues, et nous avons commencé la formation plomb. »

Pendant la formation, le téléphone de Fabien bipe plusieurs fois. Des SMS.

A la pause, il apprend à ses futurs ex-collègues qu’il ne resterait pas sur le chantier. Son entreprise utilisatrice, Ouest Acro, l’a informé que ce ne serait pas possible.

Un simple SMS, pour mettre fin, avant même qu’elle ne commence, à une période de travail sûre de deux mois. Une éternité, dans le milieu des cordistes où la norme c’est le contrat d’une semaine renouvelable à l’infini, en dépit du code du travail qui prohibe ce genre de pratique.

C’est justement ce que reprochait Fabien à ERI, son employeur lors de son premier passage sur la Tour, en 2020. Comment peut-on justifier cette hyper-précarité, sachant que le chantier était prévu sur des années ?

Les dirigeants de Jarnias et de Ouest Acro se connaissent bien. Leur patrons respectifs sont pétris d’ambition, et peu réputés pour s’embarrasser de considérations humaines afin de les assouvir. De nombreux travailleurs ont fait les frais de leur management expéditif, voire violent. Des procédures aux Prud’hommes sont en cours contre l’une comme l’autre des entreprises.

A l’évidence, Grégory V. a fait remonter à sa hiérarchie l’information sur les activités de Fabien. Information qui a été transmise à Ouest Acro. Le résultat ne s’est pas fait attendre : dehors !

D’invraisemblables explications sont venues justifier cette mise à l’écart. Explications oiseuses et concertées.

Le fond de l’histoire est limpide comme de l’eau de roche.

Fabien est adhérent à l’association Cordistes en colère cordistes solidaires. Ce collectif l’avait appuyé, lui et ses collègues lors de la lutte de 2020 afin d’obtenir des conditions de travail dignes des standards actuels.

Après l’interruption due à la contamination de l’espace public au plomb, à la reprise du chantier, Jarnias qui s’était vue attribuer le marché a fait venir des équipes de cordistes portugais, détachés par une sorte d’entreprise de travaux temporaires, elle aussi basée au Portugal. Le travail s’effectue alors de nuit. Les visiteurs n’auront pas à s’inquiéter de côtoyer des travailleurs équipés de protections très hermétiques.

L’association, forte de son intervention de 2020 a voulu vérifier si les conditions de travail obtenues alors bénéficiaient bien à ces travailleurs venus d’ailleurs.

Le rendez-vous était annoncé en toute transparence. L’objectif étant de nouer le dialogue avec les travailleurs portugais. Un tract rappelant les conditions de travail exigibles avait été traduit dans leur langue pour l’occasion.

Le contact a bien été établi, mais étrangement ce soir là, à l’embauche, très peu de cordistes entraient sur la base vie. Et pour cause, Jarnias avait donné congé à l’équipe de travailleurs cordistes portugais pour la nuit, sans raison. Des sources bien renseignées parmi les personnels de la Tour l’ont confirmé.

Mais certains travailleurs, curieux et intrigués sont passés quand-même.

La petite histoire ne s’arrête pas là. Les gardiens, étonnés de ces quelques histrions tract en main et troublés par la banderole accrochée sur des palissades ont cru bon de déranger les cadres d’astreinte de chez Janias. Ils pensaient que c’étaient les ouvriers cordistes de la Tour Eiffel qui étaient en grève !

Peu de temps après sont arrivées les forces de police. Un commissaire un peu tendu a fait du zèle. Et sous prétexte de manifestation non déclarée a bien failli embarquer tout ce joli monde au poste.

Ainsi va le dialogue social dans ce pays !

Voilà la substance de la question de Grégory V. quand il demandait à Fabien s’il faisait partie du syndicat qui manifestait en bas l’an dernier.

Alors bien-sûr, il ne s’agissait pas d’un syndicat, mais d’une association. Mais qui, il est vrai, a des activités clairement syndicales.

Qui peut douter à la lecture de ces lignes, que Fabien a été écarté du chantier en raison de son appartenance à l’association, et de sa participation à la « manifestation non-déclarée » au pied de la Tour Eiffel ?

C’est purement et simplement de la discrimination syndicale.

Bien-sûr, Jarnias s’en défend, invoquant que Fabien est sous la responsabilité de Ouest Acro, l’entreprise utilisatrice qui l’emploie en intérim, et qui l’a envoyé sur ce chantier.

Ouest Acro a ce point commun avec Jarnias d’avoir eu maille à partir avec l’association. Luc Boisnard, son inénarrable PDG lui a demandé par deux fois un droit de réponse à des publications mettant en cause sa société. A grand renfort de menaces de poursuites judiciaires.

La connivence des deux entreprises les a menées à un accord sur des raisons fallacieuses :

[La société Jarnias] avait demandé à ce que 4 salariés de la société OUEST ACRO soient présents à partir du 14 novembre mais qu’il y a eu une manifestement une erreur de compréhension chez son sous-traitants (sic) car des salariés étaient déjà sur site. En effet, le renouvellement de la première équipe en place comprenait déjà deux CDI de sorte que le besoin était réduit à 2.

La capacité arithmétique de ces deux fleurons des travaux en hauteur semble pour le moins vacillante. Une confusion entre deux et quatre ! A quoi tient l’emploi d’un travailleur…

Heureusement que les effectifs à déléguer ne se comptaient pas en dizaines. Sinon des cohortes de cordistes désœuvrés battraient le pavé parisien.

D’ailleurs, Fabien est le seul cordiste à s’être fait congédier ce soir là. Quatre moins un égal Deux ??

Et quand il formule un mail afin de demander les raisons de son éviction, la réponse est cinglante :

« Nous vous demandons de cesser immédiatement votre comportement et de présenter vos excuses écrites sur le champ à la société JARNIAS et à Monsieur V. et au plus tard sous 24 heures.

A défaut, nous n’aurons d’autre choix que de placer le dossier sur le plan contentieux en mobilisant notre Cabinet d’Avocats. » En gras dans le texte.

En amont, dans ce mail rageur, sont convoquées les accusations de diffamation et de harcèlement. Bien évidemment. A grand renfort d’articles du code pénal. La menace pour éteindre la contestation. Ce doit être dans l’enseignement de base des écoles de management.

Évidemment, Fabien n’a pas esquissé le moindre début d’excuse. Pourquoi le ferait-il ?

Ce serait concéder qu’il a eu une mauvaise interprétation des événements. Qu’il reconnaît un tort qu’il n’a pas. Ce serait donner quitus à l’entreprise Jarnias et à son comportement hautement discutable.

Il attend de pied ferme l’assignation en justice. Qui lui permettra de faire la lumière sur les agissements dont il a été victime. Il pourra faire citer à témoin les acteurs de cette mauvaise farce.

A commencer par Grégory V. qui sera alors contraint de témoigner sous serment.

Et Alain Dumas, le directeur le la SETE, qui, en tant que donneur d’ordres ne peut méconnaître les problématiques présentes sur le chantier qu’il a commandé, ni s’exonérer de leur conséquences.

Le collectif Cordistes en colère cordistes solidaires.

Voir en ligne : Blog Cordistes en colère

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