L’Édito du n°111 : Leur guerre de sécession

par Cyril Pocréaux 21/02/2024

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L’Édito du n°111 (mars - avril 2024)

Que font‑ils, avec leurs « réformes », et leur autoritarisme ? Ils font sécession, rien de moins. Quand nous devrions faire Nation.

« Il faut assumer de réinterroger notre modèle… »
J’écoutais d’une oreille distraite, mais alors très distraite, je dois l’avouer, le discours de politique générale de Gabriel Attal, ce 31 janvier.
« Chercher un modèle social plus efficace et moins coûteux, ce n’est pas un gros mot, c’est un impératif. » Leurs mots à eux me fatiguent, leurs mots sans vie, gavés à l’oxymore, simples paravents pour dissimuler leur politique.
Le nouveau Premier ministre continuait : « Je pense notamment à l’allocation de solidarité spécifique, qui permet, sans travailler, de valider des trimestres de retraite. Or la retraite doit toujours rester le fruit du travail. Je proposerai sa suppression. »
Allons bon. Supprimer l’Allocation de solidarité spécifique ? L’aide que touchent pendant quelques mois les chômeurs en fin de droits, juste pour disposer du minimum vital ? Qu’on se comprenne bien : on parle ici de 18 euros par jour… Oui : parce que l’ASS est une « trappe à inactivité », juge Gabriel Attal. Tant de chômeurs qui se vautrent dans un luxe à 18 euros par jour, refusent d’aller travailler pour dépenser, comme des princes, 18 euros par jour, ce n’est plus possible.
Alors, Gabriel veut supprimer l’ASS, oui. « C’est un impératif. »
C’est depuis longtemps déjà, leur ligne directrice : taper sur les plus faibles. Tous azimuts, sans relâche. La toile de fond de leurs actions. Aller gratter tout ce qui peut se gratter, partout. Supprimer l’ASS ? Avant cela, il y eut les APL pour les étudiants, le reste à charge quand on passe aux urgences, la franchise sur les médicaments, la réduction de la période d’indemnisation du chômage, etc., etc.
Et en même temps, « en même temps », on enregistre 97 milliards de dividendes en 2023 pour le seul CAC40, record battu, pardon, explosé, puisque c’était 80 milliards, en 2022.
C’est tellement gros, je me disais, c’est comme posé là, au milieu de la pièce : ils le savent, maintenant. On leur a dit, répété. Même Capital, même Les Échos, ont fait leur Une là‑dessus, sur les 97 milliards.
Il le sait, Gabriel Attal. Alors ?
Alors, pourquoi il ne fait rien, pourquoi il ne va pas récupérer un tout petit peu de ces 97 milliards ? Ou même beaucoup, soyons fous, pour l’ASS, mais aussi pour l’hôpital, pour l’école, pour les services publics, pour la rénovation énergétique ?

Pourquoi ?
Parce qu’on a franchi un nouveau cap, je crois.
Nous sommes au‑delà d’une classique guerre des classes. C’est une guerre de sécession, qu’ils mènent, aujourd’hui. La locomotive avance, à grande allure, des dividendes toujours plus fous en guise de charbon, mais ça ne va pas encore assez vite : il faut détacher des wagons. Se débarrasser de tous ceux qui à leurs yeux ne jouent pas un rôle productif direct dans les bénéfices que peuvent espérer les passagers de première classe.
Qu’importent les conséquences, car il y en aura, forcément : c’est une guerre de sécession.
Que font‑ils d’autre quand, sur la réforme des retraites, alors que 70 % des Français sont contre, que jusqu’à trois millions de personnes manifestent, ils passent en force, à coups de 49‑3 quand ce n’est pas à coups de matraque ?
Que fait d’autre Macron à Bruxelles quand, alors que des avancées sociales vitales pour les travailleurs des plateformes sont arrachées, il vient tout saboter, en sous‑main, pour qu’Uber, son cher Uber, continue à faire la loi ?
Et notre éphémère ministre de l’Éducation ? Que fait Amélie Oudéa‑Castéra quand elle tape, en mentant au passage, sur l’école publique ? Quand elle choisit de sortir ses enfants d’un établissement public non pour manque de professeurs, violence ou harcèlement, mais pour leur faire intégrer l’école Stanislas, là où se cultive l’entre‑soi d’une élite supposée, pour, plus tard, reproduire les mêmes élites‑pour-plus-tard‑reproduire‑les‑mêmes‑élites-pour-plus-tard… ? Il ne faut donc pas se mêler à la plèbe ? Par peur, peut‑être, d’une contagion ?
Ne fait‑elle pas sécession ? La loi sur l’immigration, fin 2023, présentait l’avantage de faire d’une pierre deux coups. Taper sur les plus faibles, bien sûr, avec des immigrés accusés de venir s’engraisser sur notre dos. Du classique. Mais elle détournait, aussi, l’attention. La déportait. Qu’on braque notre regard sur ceux d’en bas, immigrés ou chômeurs, plutôt que sur le trésor de 97 milliards posé au milieu de la pièce. Plutôt que sur ceux qui se tirent par la fenêtre avec ce magot ‑ leurs copains sécessionnistes, eux aussi.
Ils creusent leur tombeau, notre tombeau, politique, a minima ?
Ils ouvrent les portes, en grand, à l’extrême‑droite, à une société qui se déchire ?
Ils s’en moquent : comme les traders, comme les fonds de pension, comme les actionnaires du CAC40, ils ne voient qu’à court, très court terme. Dans ce référentiel, le temps dont disposent Macron, Attal and co est largement suffisant : car eux s’en sortiront, toujours.
Ils s’en sortiront indemnes, du choc social : ils ont les moyens, largement, pour ne pas sombrer avec les autres.
Ils s’en sortiront, du choc politique : ils ont encore les forces de l’ordre pour les protéger de la colère, eux et les mesures qu’ils imposent, au moins un quinquennat ou deux...
Ils s’en sortiront, aussi, du choc climatique : ils ont les ressources pour y survivre, s’exiler si besoin, au moins une génération ou deux.
Bien sûr, il y a de petits grains de sable, parfois.
La fronde des agriculteurs aura eu cette vertu : mettre en lumière leurs si discrètes négociations sur le Mercosur, fidèles à leur dogme d’une concurrence mondialisée, pour rogner, encore, sur ce qu’on paye aux agriculteurs, et augmenter, encore, les bénéfices des firmes qui les écrasent. Pris les doigts dans le pot de confiture ! Le risque était un peu trop gros, cette fois : pas sûr de sortir indemnes, dans l’opinion et sur le terrain, d’un affrontement avec les agriculteurs et leurs tracteurs.
Alors, non, bien sûr, grands dieux ! on ne va pas l’accepter, ce traité. Du moins, « pas en l’état ». Mais quand on aura changé une virgule ou deux… Il faudra bien, pourtant, faire Nation pour affronter les défis. Certes, avec Macron, Le Maire, Darmanin, Oudéa‑Castéra, Attal (la liste est longue), ce ne sera pas simple : nous devrons, d’abord, leur reprendre le volant des mains.
Les mettre au chômage.
Mais nous serons grands princes, alors : nous rétablirons l’Allocation de solidarité spécifique, histoire que même Gabriel puisse profiter des largesses de la Nation réunifiée.

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