Violence institutionnelle

17/01/2024

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On le répète, à chaque numéro : nos lecteurs sont les meilleurs ! Mais comme la ministre de l’Éducation nationale ne le sait pas encore, et comme elle a visiblement beaucoup, beaucoup de choses à apprendre des professeurs, des AESH, de tous les personnels de l’école qui chaque jour se crèvent pour nos gosses, malgré les attaques, les « rationalisations » et les « économies » de son gouvernement, on vous publie ici la lettre d’Aurélia.

Aurélia est institutrice dans une école publique, en banlieue parisienne. Entre sanglots et usure, elle nous racontait son quotidien, ses élèves et leurs besoins si particuliers, et la « violence institutionnelle » qu’ils subissent de la part de nos gouvernants.

D’Aurélia (77), le 15 septembre 2023

Cher Fakir,

Bien sûr, tu ne découvriras pas de scoop dans ce courrier.

Ma réalité, c’est celle des AESH (les accompagnantes d’enfants en situation de handicap) et des manquements (ou plutôt des mensonges) de l’Éducation nationale. Tu les connais déjà.

Mais à qui me raconter ?

Parce que ça me ronge. Chaque jour passe avec des sanglots cachés, et une usure qui me mène jusqu’à mon école à reculons.

Bon, ok, tu n’es pas un cabinet de psy. Mais ça va me soulager de te parler…

Je n’en peux plus.

Je me sens usée, fatiguée, au bout de mes forces et de ma foi.

Je lance un cri. Mon cri en sourdine depuis si longtemps : les élèves à besoins particuliers, en inclusion dans l’école publique, subissent de la violence institutionnelle.

Leurs enseignants aussi.

Je parle pour moi, mais je sais que je ne suis pas la seule, ni seule.

J’ai deux élèves bénéficiant de la présence d’une AESH, 21h00 en tout pour les deux. AESH mutualisée, évidemment, partagée également avec une autre élève d’une autre classe.

Ce qui est déjà paradisiaque !

Eh bien, aujourd’hui, je viens d’apprendre qu’elle ne viendra plus que deux jours par semaine, parce qu’elle doit prendre en charge de nouveaux élèves, dans une autre école. Comme on n’arrive pas à recruter...

Donc voilà : 9h00 au lieu des 21 prévues, pour deux enfants qui ne travaillent pas du tout seuls. Et même avec de l’aide : le travail doit être personnalisé et différencié au regard de leur(s) handicap(s), et retard scolaire.

Quand notre géniale AESH n’est pas là, me voilà toute seule, en double niveau CE2-CM1, 25 élèves, avec deux élèves handicapés, trois élèves de CE2 non lecteurs, une élève dyslexique, une élève qui ne parle pas français (russophone, sans autre aide évidemment puisqu’on manque de profs). Sans parler des élèves dont il faut spécialement surveiller le comportement, l’hygiène...

L’inclusion à l’école, c’est pas du tout « all inclusive »…

C’est de la débrouille, du système D, c’est souvent à l’enseignant seul de se débrouiller, de gérer l’inclusion, tout en jonglant avec ses autres élèves, tout en culpabilisant de ne pas faire assez, de ne pas faire mieux, de ne pas offrir aux autres élèves ce à quoi ils ont droit eux aussi.

J’ai 44 ans, 23 années de boutique, 19 années dans la même école...

Des élèves à besoins particuliers, j’en ai eu : syndrome du « X fragile », déficients intellectuels, sourds, TDHA, TDA, dyspraxiques, dyslexiques...

Et là, je me sens vidée.

Si je tiens c’est pour mes enfants, les miens (ils ont 12 et 3 ans et demi).

Parce que j’aurai trop honte de flancher devant eux, alors que chaque jour je leur dis combien c’est formidable d’aller à l’école, d’apprendre, de grandir...

Je n’ai même plus la force d’avoir la rage.

Je n’ai plus qu’un espoir : réussir à travailler juste pour « l’alimentaire » comme on dit. Mais, me connaissant, c’est mal barré.

Allez, cher fakir, je finis là ma consultation psy… merci.

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