Un coin-coin nommé plaisir…

par Aline Dekervel 28/07/2010 paru dans le Fakir n°(43 ) décembre - janvier 2010

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Soirée « Tuppergodes » à la caserne d’une ville-qu’on-taira-le-nom.
Les femmes de gendarmes essaient tout pour nous : les menottes bien sûr, le rabbit de « Sex in the City », le canard qui stimule le clito avec sa queue…

Fakir - Un coin-coin nommé plaisir
Fakir - Un coin-coin nommé plaisir

« On nous appelle les ‘ambassadrices du bonheur’. Dire qu’il y a des mecs qui se creusent pour trouver ça ! »

– Mais il est cassé ou quoi ce truc ? J’arrive pas à le faire marcher, t’as d’autres piles, Emilie ?

Audrey s’affaire avec un godemiché rose fluo et strass dans les mains.

– Normalement, il doit vibrer, je ne comprends pas. On est déjà assez à la bourre comme ça !

Dans un quart d’heure démarre la « soirée Tuppergodes ». Et pour l’instant, c’est le bazar dans le salon d’Emilie : sont éparpillés pêle-mêle des flacons d’huiles, des menottes, des bougies parfumées.

– Ah oui, il faut trois piles ! Là, ça marche.

La machine se met en branle, et un voyant s’allume.
On est dans une caserne, ici.
Emilie et Audrey sont femmes de gendarmes.
On ne les imagine pas comme ça, les femmes de gendarme. Etalant des sex-toys bleu, rose, mauve, en formes d’œufs, de dauphin, de lapin. Préparant la venue des copines avec, sur l’étagère, un phallus à la place du vase.

– J’accroche la lingerie au placard, Emilie, OK ?

Audrey est énervée, un peu stressée.

– Tu ne trouves pas que la table basse est un peu chargée ?

Faut dire que c’est sa première fois. Ou presque. Les deux amies ont reçu leur « kit de démonstration » avant-hier, et sont aussitôt élevées au rang de commerciales pour Soft Paris :

– On nous appelle les ‘ambassadrices du bonheur’. Audrey éclate de rire.
Dire qu’il y a des mecs qui se creusent pour trouver ça ! Chez Tupperware, on était ‘conseillères culinaires’, je te demande un peu, je sais même pas faire la cuisine ! »

Pour l’amour, en revanche, à coup sûr elle assure : elle s’est même fait draguer par Patrick Bruel !

– Avec Tupperware, mon homme en avait marre d’avoir des tas de boîtes plastiques chez nous. Au moins, les sex-toys, ça tient dans une valise.

Avant ça, sinon, elle travaillait dans l’enseignement catholique – après un concours d’IUFM raté.

– J’ai arrêté mes suppléances en fin d’année scolaire pour reprendre un Master Sciences de l’Education. J’avais besoin d’un petit revenu. Ici, il n’y a pas grand monde sur ce marché, je me suis dit que ça pouvait marcher pas trop dégueu. Mais le désavantage par rapport à Tupperware, c’est qu’on paie notre kit. C’est pour ça qu’on investit à deux : 300 €, c’est pas donné.

Ça sonne à la porte. Juste le temps de rajuster le boa rose, qui serpente autour de la camelote.

Mesdames Toulmonde

– On va démarrer. Y a encore quelques copines qui vont arriver plus tard, mais elles rattraperont, lance Audrey.

– Alors les filles, quel est le secret d’une soirée réussie ?

– Nos hommes !, répond une femme de gendarme (en manque).

C’est que tous les pandores sont partis, pour trois semaines au moins. Trois mois, peut-être. Tous en Nouvelle-Calédonie : y a du Kanak à surveiller là-bas.

– Ouais… Mais quand ils sont là, c’est…

– La lingerie !

– Exactement !

Un petit four aux rillettes dans une main, et dans l’autre on se passe la petite culotte en dentelles.

– Ah ouais, j’avais pas remarqué, me signale Elodie.
T’as vu, elle est fendue au milieu ! Comment elle s’appelle celle-là ?

Ma voisine fait un petit trait en face de « Pénélope » sur le bon de commande. Elle travaille au Crédit Agricole. Les autres exercent comme institutrice, vendeuse chez France Loisirs, assistante maternelle… Des employées. Des jeunes mères, certaines. Ni riches ni pauvres. Pas perverses, plutôt pépères. Des Madame Toulmonde. Et c’est Madame Toulmonde, donc, maintenant, qui se rend à des réunions « Tuppergodes », fait tourner les sex-toys, et se prépare à faire joujou avec Monsieur Toulmonde. C’est dire si, depuis Mai 68 au quartier latin, la libération des mœurs s’est diffusée, a pénétré le corps social. Jusqu’en Picardie. Jusqu’à la caserne d’une ville-qu’on-taira-le-nom.

Le gode chez Cora

– Et voilà le rabbit ! Pour toutes les fans de Sex in the City…

Moi, franchement, je n’ai jamais regardé Sex in the City. Mais ce rabbit m’impressionne.

– Vous allez adorer : c’est un gode avec un petit lapin au milieu qui stimule le clito avec ses oreilles ! »

Filant la métaphore animalière, Audrey enchaîne avec le canard.
Je ne vois vraiment pas quoi faire avec ce palmipède.
Heureusement, je ne suis pas la seule inculte :

– J’ai jamais compris à quoi ça servait… admet Pascale.

– Le bec, c’est pour les tétons, et la queue, c’est pour une stimulation du clito, en massage dans le bain par exemple.

Audrey connaît son métier. Mais Amélie lui casse le marché :

– Moi j’en ai un, mais ça me fait plus mal au bras qu’autre chose. Y a trop de vibrations...

Pendant la pause clope sur le balcon, Typhaine se tâte :

– Peut-être que j’achèterais le canard noir parce que je viens de refaire la déco de ma chambre : argent et noir… Sinon, je ne suis pas tellement portée sur la chose. D’ailleurs, quand j’ai arrêté la pilule - non pas pour avoir un gamin mais parce qu’avec mes études d’aide-soignante, j’ai découvert les dangers de ça – mon mec m’a offert une boîte de 12 préservatifs. ‘Pourquoi 12 ?, je lui demande. - Ben, un par mois, ça suffira à l’année !’ qu’il m’a répondu. Alors, tu vois, c’est plutôt pour rigoler que je suis ici. Pour voir, on en parle de plus en plus.

Elle aussi cite la série « Sex in the city ». Sans compter les stars, Madonna, Kate Moss, Victoria Beckham, Eva Longoria qui, dans la presse people, ont vanté ces gadgets.

– T’as vu celui-là ? C’est une version poche mais y a plusieurs vitesses !

– Ah ouais, pas mal, il est beau avec les petits brillants, et tout doux…

– Vise aussi le petit pratique en forme de rouge à lèvres…

– Oui, mais je préfère l’autre, il est plus doux…

Pour moi, les godes, c’était le truc gris, froid, qu’on planque bien sous la pile des vieux pulls. Un machin pour les nymphos, ou les célibataires en mal de mâles. Mais ceux-là sont re-designés, plus en ludiques que lubriques. En grand public.

– Quand j’ai montré tous les sex-toys à ma mère, raconte Audrey, elle était surprise. A son époque, c’était des trucs plus trash, pénis-ficelle, poupées gonflables et combinaisons en cuir, alors qu’aujourd’hui, y a des couleurs, les godes portent des noms sympas ‘Colibiri’, ‘Destiny’, ‘Lily’.

Des marques se sont lancées sur ce marché, Philips ou Hitachi pour l’industrie, Chantal Thomass ou Nathalie Rykiel pour la mode. Les supermarchés foncent sur ce créneau, Cora, Printemps ou Monoprix.
Un business.
Bientôt chez Darty.
Retour à la case départ : car, au début du XXème siècle, du temps de nos arrière-grands-mères, les vibromasseurs se vendaient comme des aspirateurs.

Fin de l’ère courgette

– Et voici le dernier produit vraiment top, enchaîne Audrey : l’œuf vibrant. On l’enfile comme un tampon, il y a une télécommande à plusieurs vitesses, et vous ou votre homme pouvez l’actionner à tout moment !

Pour qu’adviennent ces soirées « sex-toys » à la gendarmerie d’une ville-qu’on-taira-le-nom, il a fallu la libération des mœurs, sans doute. Il a fallu la montée du capitalisme, surtout. Que la publicité imprègne les imaginaires : nul bonheur possible sans l’intercession d’un « dernier produit vraiment top ». Que l’amour, même solitaire, devienne une marchandise. Que dans cet acte, naturel, éternel, s’insère la technologie – à vendre.
Finies, « les cierges de Mélanie » chers à Brassens. Enterrées, les bananes des chansons paillardes. Has-been, cette copine qui, au collège, testait tout le potager : concombre, carotte, courgette, le bras de son nounours (qu’elle enfilait dans un préservatif) et nous racontait le lundi ses pénétrations jardinières.

– Quelqu’un sait ce que c’est ?

– Une cuillère à miel !

– Mais non, c’est des boules de geisha ! On les enfile comme un tampon, explique pédagogiquement Audrey. On ne peut pas dire que c’est un instrument de plaisir. En fait, c’est pour muscler le périnée. En Italie, elles sont systématiquement prescrites après un accouchement.

– On en apprend des choses, apprécie une fille, tandis que Cécile soupèse les sphères de silicone.

– Mais elles sont lourdes ! Faut pas partir avec à Auchan sans culotte !

On connaît la suite.
On sait comment le marché avance dans les têtes : par le chantage.
Bientôt, demain, seront nulles, ringardes, toutes celles qui n’ont pas essayé.
Qui n’ont pas leur canard à domicile.

Un autre joujou spécial gendarme : les menottes !

– Elles font moins mal que les vraies ? demande une convive – habituée au matériel de pro.

La séance se termine en photos. Chacun sa teub en plastique – tandis que les plus discrètes passent commande. Il en faudra, des achats, pour que Audrey dépasse le RSA :

–On se fait 21% de commission, mais Hors-Taxe. Alors que chez Tupperware, c’est toutes taxes comprises.

Une TVA trop élevée, et l’ « ambassadrice du bonheur » pourrait bien quitter son chasuble noir moulant, et renfiler le tablier. Y a pas si loin, finalement, de la sexy girl à la bonne ménagère.

(article publié dans Fakir N°43, novembre 2009)

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