Le SAI – Service après info

par François Ruffin 14/10/2016 paru dans le Fakir n°(75) mai - juin 2016

On a besoin de vous

Le journal fakir est un journal papier, en vente dans tous les bons kiosques près de chez vous. Il ne peut réaliser des reportages que parce qu’il est acheté ou parce qu’on y est abonné !

Pourquoi a-t-on glissé comme ça, lentement, de l’info à l’action ? Pour une raison simple : à Fakir, on ne peut pas se faire d’illusions.

Ce matin, je voulais entamer un papier sur les agents de nettoyage, leur sociologie, croisant les témoignages.
Mais je cherche un cheminot, pour la réu de mercredi, qui ferait un point sur la grève ou pas à la SNCF, et ça serait pas mal aussi, un député, ou un sénateur, qui ferait un point sur la loi, qu’est-ce qu’il reste dedans ? qu’est-ce qu’ils enlèvent ? qu’est-ce qu’ils rajoutent ? et je reçois un SMS de Kamel, il paraît que El Khomri viendrait voir Nuit debout à République, mais en fait c’est une rumeur, et Manuela, des douanes CGT, me rappelle, en direct du Congrès à Marseille, pour sonder les cœurs, est-ce qu’une union Nuit debout / syndicats est pensable, possible, pour le 1er mai ?
J’ai essayé de me remettre à mes agents de nettoyage, à leur sociologie, leurs témoignages, mais l’esprit troublé, sans concentration.

[**C’est pas évident de passer, comme ça, d’un cerveau à l’autre.*]
L’un, dans l’action, qui songe aux communiqués à pondre, aux forces à rassembler, aux SMS à envoyer, toute une liste de tâches, avec une part d’excitation, dans l’immédiateté.
L’autre, pour l’écriture, plus dans la réflexion, qui réclame un peu d’apaisement. Et ça ne m’étonne pas que, durant la Révolution française, on n’ait écrit aucune grande œuvre : toute l’énergie créatrice s’est canalisée dans la passion politique.

Je suis bien conscient, amis lecteurs, que le tumulte fakirien de ces derniers mois, les projections-débats, les manifestations à répétition, le réveil des betteraves à Amiens, les assemblées générales à Paris, le plan de bataille pour Madame Gueffar, les dizaines de réunions pour organiser tout ça, à la fois nourrissent ce journal, sans doute, mais lui nuisent aussi, altèrent sa qualité, en font un truc brouillon. Il est difficile de poser un regard objectif sur le monde social lorsque, les mains dans le cambouis, on s’efforce en même temps de le modeler.
Je vous dis tout ça.

Mais je sais, en même temps, que vous ne nous en voudrez pas. Que, même, peut-être, vous nous aimez pour ça, pour ce va-et-vient entre info et action.

[*Pourquoi, d’ailleurs, on a glissé comme ça, lentement, de l’info à l’action ?*]
Pourquoi, au-delà du journal, on se mue parfois, de plus en plus souvent, en « mécano du social » ?
Pour une raison simple : avec Fakir, on ne peut pas se faire d’illusions.
Quand vous publiez un article en Une du Monde diplomatique, ou que vous réalisez une émission pour France Inter, vous pouvez vous dire que, derrière, sur les centaines de milliers de lecteurs, d’auditeurs, il va y avoir des députés, des dirigeants syndicaux, des ministres pourquoi pas, d’autres journalistes même, qui vont écrire une proposition de loi, se bagarrer avec leur orga, relayer une injustice, bref, aider à transformer un tant soit peu les choses.
Avec Fakir et nos 15 000 acheteurs, on ne peut pas se bercer de ces douces espérances : il n’y aura personne pour faire le boulot à notre place. Alors, de l’accident du travail à la Citadelle à l’occupation de la Zone industrielle en passant par De l’air à Inter, les AG de Vinci, Casino, LVMH, jusqu’aux Klur de Merci Patron !, on descend nous-mêmes au charbon. On est condamnés à assurer le « service après information », cherchant des alliés possibles, imaginant des scénarii, recourant à tel ou tel levier, conscient de notre faiblesse, et faisant de notre faiblesse une force…

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