Le boss a des principes !

par Syndicat des Petites Mains Fakiriennes 14/01/2020 paru dans le Fakir n°(90) Date de parution :

On a besoin de vous

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Le patron exige une commission d’enquête interne, maintenant !
À cause d’une virgule sous un point…

On était tous fatigués, devant l’ordi, fin de bouclage, derniers tours de relecture du canard. Un peu stressés, aussi : l’air de rien, en sifflotant, le rédac’ chef venait d’entrer, de s’asseoir pour relire à l’écran.
C’est toujours mauvais signe. Il est capable, sur un coup de tête, de vous supprimer un dossier, ou d’ajouter quatre pages sur des Gilets jaunes, le tout à deux heures de l’envoi à l’imprimeur.
Mais la foudre n’est pas tombée là où on l’attendait.
« Qui m’a écrit ça ? C’est une blague ou quoi ? »

Il a lu le passage d’un texte, en détaillant bien la ponctuation, comme un maître articule une dictée : « Cette fake news (virgule), c’est Emmanuel Macron qui l’a prononcée (point-virgule) ; en dix ans (virgule), la France a vendu pour 11 milliards d’armes (trois petits points)… »
Les plus anciens ont de suite compris.
« C’est quand même pas le point-virgule…
- Si, c’est le point-virgule, oui, justement, c’est le point-virgule ! »

C’est sa phobie, au patron, son angoisse. Certains, c’est les souris, d’autres les serpents ou le vide, ou la foule.
Lui, c’est le point-virgule.
Du coup, ce petit signe, à Fakir, c’est un peu comme la clé de la chambre de Barbe-Bleue : on sait qu’il est là, on sait qu’il existe, mais interdit de l’utiliser.
« Et le pire, c’est ça : quand on le met sous ma signature ! Mon propre nom, sali, bafoué ! C’est un couteau qu’on me plante dans le cœur… », il a sorti, un brin théâtral.
« Mais c’est subtil, le point-virgule, ça marque une vraie nuance… » a osé Julie.
Il se prenait la tête à deux mains, les coudes sur la table, le patron. « Allez me chercher le bouquin de Cavanna ! »
Il s’est raclé la gorge, et s’est mis à lire Mignonne, allons voir si la rose…, à voix haute. On avait l’impression d’être à la messe : « Qui a inventé le point-virgule ? Je ne sais pas. A quoi sert-il ? A rien. A embêter le monde. A rassurer les écrivains timides. » L’utiliser, « c’est tout simplement un aveu d’échec. C’est tout simplement demander au point-virgule, triste bâtard ni chèvre ni chou, de faire ce que devraient être capables de faire les mots eux-mêmes, de par leur choix et la façon de les arranger. C’est demander à une ponctuation de pacotille de replâtrer tant bien que mal ce qu’on n’a pas su mener à bien. […] Guerre au point-virgule, ce parasite, ce timoré, cet affadisseur, qui ne marque que l’incertitude, le manque d’audace, le flou de la pensée, et colle aux dents du lecteur comme un caramel trop mou ! »

Il était comme en transe, le patron :
« Travailler à Fakir, c’est pas être mou, c’est pas être ‘‘entre-deux’’. On va faire quoi, la Révolution avec des excuses dans la voix ? Victor Hugo, il les lavait à l’eau tiède, ses textes ?
- Bon ben, on va monter le CFPJ : le Centre fakirien de la ponctuation juste »
, a lancé Cyril, mort de rire.
« Non mais là tu te fous de moi ! Ça va bien au-delà de ça. Ce point-virgule qui vient de glisser ici, c’est un symptôme, un symbole de tout ce qui dérive dans ce journal depuis que je suis député. Je veux une commission d’enquête interne !
- Hein ?
- Ouais ! Quand mon père bossait chez Bonduelle, on avait trouvé une souris dans une boîte de conserve. Y avait eu une commission pour comprendre tout le process, comment on en était arrivés là. Je veux la même chose. Et un truc carré, sérieux. Parce que ce point-virgule, ça veut dire qu’on me respecte plus, dans ce journal. Fayard, les Arènes, les Liens qui libèrent, jamais ils ne se permettraient ça avec un de mes bouquins. Et à
Fakir, on se l’autorise ? Ma chair, mon sang ? Trahi par les miens ? Poignardé par mes fils ? »

Il commençait à nous inquiéter, niveau santé mentale.
Alors, on a demandé à un cabinet d’audit un devis pour restructurer le canard. Bon, d’accord, on avait glissé « option jacuzzi » dans notre demande…
Quand il a vu le chiffre à la fin de la page, il est devenu pâle, et s’est enfermé dans son bureau. On devrait être tranquilles pour un moment.

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