Jusque dans nos corps

par Cyril Pocréaux 25/11/2019 paru dans le Fakir n°(91) Date de parution :

On a besoin de vous

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C’est un petit bout de métal dans l’utérus des femmes, et qui brise des milliers de vies. Un produit Bayer, avec la complicité silencieuse du ministère de la Santé.

« Moi, j’ai perdu la vision, je ne voyais plus d’un œil. J’ai eu une sinusite pendant deux ans, 24h/24. J’avais commencé à perdre l’usage de mon bras gauche. J’ai perdu mon travail d’auxiliaire de puériculture, un sac à main pesait des tonnes. Je m’endormais dans ma voiture. Je ne pouvais plus lire une histoire à mes enfants le soir. Ma propre mère me l’a dit : ‘‘J’ai cru que tu allais mourir.’’ J’ai deux maladies auto-immunes. Je ne pourrai pas retravailler, mais mon problème n’est pas reconnu. Bayer, mon système nerveux, jamais ils ne vont me le rembourser. Mais j’ai un petit-fils, et j’aimerais bien profiter de lui... »

Depuis nos aventures chez Sanofi, on est un peu devenu un service après-vente des scandales sanitaires, à Fakir. Les victimes nous contactent, nous signalent des souffrances, des doutes, des révoltes solitaires, les scandales s’entassent dans nos boîtes mails, sur nos bureaux. Cette après-midi-là, c’est dans le cadre feutré de l’Assemblée nationale que ça se passe, pour une audition de l’association Resist.
« Mais comment tu as compris que tout ça, c’était à cause d’Essure ?
- Eh bien,
reprend Stéphanie, ma meilleure amie était venue me voir à Metz. J’avais mes règles, mais ce jour-là j’en ai mis partout dans ma voiture, partout. On a été obligées de s’arrêter chez McDo pour prendre des serviettes pour nettoyer, nettoyer… C’était trop. Dans mon lit, quelques jours plus tard, je m’en souviens parce que c’était le 21 septembre, le jour de mon anniversaire, je réalise d’un coup que tout ça a commencé au moment où j’ai eu Essure. Je suis descendue voir mon mari et je lui ai dit ‘‘ça y est, je sais’’. »

Stéphanie et Marielle sont venues raconter leur calvaire, le cauchemar qu’elles vivent depuis qu’un petit bout de métal a été implanté dans leur utérus : «  ‘‘Vous êtes sûre que vous ne voulez pas qu’on vous pose Essure ?’’, c’est ce que nous ont demandé les médecins à nous toutes, pareil pour les gens qui nous appellent au téléphone, poursuit Stéphanie. C’est un moyen de contraception définitive. Le système, c’est un ressort qui est censé fibroser pour boucher les trompes. Mais il peut y avoir des allergies, car il y a des métaux lourds dedans. »

Depuis près de dix ans, Essure détruit tranquillement des vies. Commercialisé par Bayer, Essure bénéficie des mêmes passe-droits que tous les "dispositifs médicaux" : contrairement aux médicaments, il n’est pas soumis à autorisation de mise sur le marché. Les Pharma papers ont révélé comment un filet à mandarines avait été accepté comme dispositif anti-descente d’organes, et avait reçu le « passeport européen » nécessaire de l’UE…

Comme Stéphanie a des larmes dans la gorge, Marielle reprend le flambeau. « J’ai été implantée le 10 octobre 2011, et j’ai vécu un enfer. J’avais des troubles cardiaques. J’avais peur. J’étais touchée sur le plan neurologique. Je pensais que j’étais en train de mourir, et le médecin voulait m’interner, me donner des cachets. Sur les 2500 adhérentes de notre association, on a des taux de lymphomes énormes. Aujourd’hui, on recherche aussi les scléroses en plaque. Souvent, on a des hémorragies, et l’utérus qui pourrit. Vanessa avait 40 ans, et ce qui lui est arrivé est horrible. Elle est décédée devant ses trois enfants, le soir. Son mari n’a pas réussi à la réanimer. »
On se sent un peu démuni, parfois, face à des témoignages comme ça. Et des questions bêtes nous viennent, qu’on ose à peine poser. Mais pourquoi on ne vous le retire pas, ce bout de métal qui vous ruine la santé ?
« D’abord parce qu’on ne comprend pas tout de suite la cause de tout ça, prévient Marielle. Même mon neurologue ne savait pas pourquoi j’avais mal. J’ai commencé une errance sans nom, pendant laquelle j’ai subi le mépris du corps médical. J’ai eu une otite avec perforation de du tympan. Le médecin m’a dit ‘‘Eh bien vous n’avez qu’à ne pas vous regarder dans une glace.’’ Quand je suis sortie de là, je me suis dit que, maintenant, j’allais attendre de mourir. C’était affligeant, ce mépris. J’ai eu honte pendant toute cette période. Chaque semaine, on voit de nouveaux médecins, devant qui il faut se déshabiller, des gens qui vous touchent, qui posent les mains sur certaines parties de vous, qui introduisent des choses dans le corps. Aujourd’hui, je n’ai plus envie qu’on me touche. Parce qu’y a de la violence là-dedans. Vous allez voir des gens pour qu’ils vous aident, et ils vous crachent dessus. Si j’avais pas trouvé par moi-même, en voyant sur Internet qu’il y avait des cas semblables aux Etats-Unis, je ne serais peut-être plus là. »

A force de croiser les témoignages, les symptômes, les dates, les tests médicaux, la cause est identifiée, mais rien n’est réglé. Marielle poursuit, d’une voix claire : « Le problème, c’est que l’explantation des implants est extrêmement délicate. En fait, c’est une boucherie opératoire. Le dispositif est aux trois-quarts dans la trompe, et si on le retire, il casse. Des fragments d’implants restent dans l’organisme quand on les retire. Si on l’enlève, les chairs s’arrachent. Finalement, j’ai trouvé un chirurgien qui a bien voulu m’enlever les implants. Mais aujourd’hui, j’ai 38 ans, et on m’a retiré l’utérus, alors qu’auparavant il était sain. Moi, mon gynécologue ne m’avait jamais dit que s’il y avait un problème, ça irait à l’hystérectomie. On ne m’a pas demandé si j’étais allergique au nickel, il le savait qu’il y en avait dedans, mais il ne m’a pas demandé. »

Les symptômes s’atténuent, une fois la « boucherie » terminée. Mais les questions demeurent. Combien de femmes sont touchées ? Le ministère de la Santé estime à 175 000 le nombre de femmes porteuses du dispositif en France. 175 000 femmes qui ne savent pas forcément quelle peut être la cause de leurs éventuels problèmes de santé. « Combien de grossesses non désirées à cause de cela ? Combien d’avortements ? Combien de décès de bébés ? Combien de suicides ? », questionne Marielle en rafale. Evidemment, Bayer n’a prévu aucun protocole de retrait. Le labo est aux abonnés absents quand il s’agit d’évoquer le problème. La firme allemande a simplement arrêté la commercialisation d’Essure en France en septembre 2017. Pour « raisons commerciales », pas sanitaires, ont-ils précisé. Cela n’empêche pas le dispositif d’être toujours implanté, tant que les stocks ne sont pas épuisés. En Angleterre, où Essure est toujours commercialisé, les victimes se sont heurtées à la version british du Secret des affaires.

Une longue bataille s’engage, et promet de durer, à coups de procédures, devant les tribunaux, l’ANSM, le ministère, ou sur les tables d’opération. En attendant, « oui, ça, ça coûte un pognon de dingue à la Sécu avec tout ce qu’on nous fait comme examens, arrêts de travail... calcule Marielle. Mais quand on demande au ministère de faire des études sur les chiffres ou les conséquences, rien. »

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