Assurés abandonnés

par Cyril Pocréaux 06/09/2019 paru dans le Fakir n°(89) Date de parution :juin 2019

On a besoin de vous

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Sachez-le : votre assureur sera toujours là pour vous.
Sauf en cas de coup dur, bien sûr.

« Brrrrrrrrrr… »
Le bruit de fond a vite fait de vous souler. La grosse machine à sécher impose son tempo, chez Ophélie. C’est que, six mois plus tôt, tout le rez-de-chaussée était noyé sous l’eau, papier peint trempé, carrelage décollé. En octobre 2018, l’Aude a connu ses grandes inondations. Quinze personnes ont perdu la vie, deux cents communes reconnues en état de catastrophe naturelle, 220 millions d’euros de dégâts.
« Brrrrrrrrrr… »

Chez Ophélie, aide soignante, comme chez ses voisins, la solidarité a joué. Tous sont venus donner un coup de main, déblayer, enlever la boue, aider à reconstruire. Et le président Macron a débarqué, lui aussi, plein de réconfort et de certitudes : « On va vous aider, vous inquiétez pas. » Puis, plus tard : « La Fédération française des sociétés d’assurances, dont je salue le président, a pris l’engagement de ne pas exiger le paiement de franchises. » Les franchises seront bien prélevées, pourtant. En revanche, cinq mois plus après le drame, au moment de notre passage, les compagnies d’assurance n’ont toujours pas remboursé les dégâts :
« J’ai eu 2000€, seulement. Pour toute la maison. Mais avec 2000€, on ne fait rien… » déplore Ophélie, pendant que sa petite fille joue à ses pieds.
« Mais qu’est-ce qu’ils vous disent ?
- Quand on les appelle, ils disent qu’ils ne savent pas. Qu’on n’est pas les seuls. Qu’il faut ‘‘attendre’’. Ça fait du mal de voir sa maison comme ça, de ne pouvoir rien faire, et d’attendre. Attendre. Ce mot, je ne peux plus l’entendre. Attendre. ‘‘Vous devez attendre’’. J’appelle trois fois par semaine. Vendredi encore, et la conseillère m’a dit que je ne devais pas l’appeler aussi régulièrement, que je devais attendre. »

En attendant, elle ne loge pas ici.
Du provisoire qui dure.
Et qui coûte.

Comme l’explique Céline, son ex-voisine, mère célibataire et plutôt vénère : « Cinq mois après, je n’ai pas de nouvelle de mon assurance. Tous les mois, je paye le loyer de l’appart dans lequel je vis, vu que la maison est inhabitable, et en plus le crédit de la maison que j’ai achetée. Je suis seule avec mon fils, je suis aide soignante à 80 %, donc j’ai un petit salaire : 1350 € par mois, en faisant des week-ends. J’ai reçu des dons, mais c’est tout. 1350, moins 411€ de crédit, 590 € de loyer. Ça me laisse 300 €. Il faut ajouter EDF, deux fois EDF, du coup, 110 €, l’eau, 30 €. Il me reste 150 € pour vivre par mois. Ça fait cinq mois que ça dure. Je suis chez GMF, comme assurance : ils n’ont un bureau qu’à Levallois-Perret, on peut les joindre de 14 h à 16 h, et donc on n’y arrive jamais. On est livré à nous-mêmes, et voilà… »

Pierre est un autre voisin, cantonnier au Conseil général, bosse à l’entretien des routes. Il veille un peu sur la rue, depuis les inondations, tout en essayant de se dépêtrer de ses propres emmerdes. « J’ai reçu il y a quinze jours un expert des assurances, mais il ne m’a toujours pas envoyé son compte-rendu. Ils sont en train de jouer sur la superficie des pièces, pour essayer de me faire dire que le contrat que j’ai signé avec eux n’est pas valable. On téléphone, on envoie des mails, tous les jours. Et rien du tout, pas de réponse. Eux, ils le vivent pas, ça, dans leur maison bien au chaud… »
Il serait six mille dossiers, comme ça, « en attente ».

On a mis tout ça dans une vidéo sur les réseaux sociaux, en citant bien les noms des compagnies : Pacifica - Crédit agricole, la GMF, la BPCE… On s’apprêtait, dans la foulée, à déposer une question écrite : « Monsieur le Premier ministre, comptez-vous enfin mettre au pas les compagnies d’assurances ? Pour que ces dossiers ne traînent plus ? Pour que Ophélie entende autre chose que "attendre" ? Pour que les engagements du chef de l’Etat soient tenus ? »
Mais miracle ! Coup de fil d’Ophélie : peu après notre passage, l’assureur l’a contactée, dédommagée rapidos, enfin.
Peut-être le hasard.
Peut-être que notre vidéo a poussé.
Peut-être, surtout, le reportage d’Envoyé spécial.
Ca serait une autre vidéosurveillance, qu’on prônerait : une caméra derrière chaque compagnie d’assurance !

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