Trader de vent

par Aurélien Bernier 02/02/2010 paru dans le Fakir n°(43 ) décembre - janvier 2010

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On sera sauvés par où on a péché : alors que le marché détruit la planète, comment la préserver ? Par plus de marché !

L’immeuble 3 More London Riverside est facile à trouver. Vous longez les quais de la Tamise entre London Bridge et Tower Bridge, jusqu’à tomber sur une tour arrondie et penchée : le City Hall de Londres. Là, juste derrière, vous avez 3 More London Riverside. C’est une grande bâtisse vitrée comme il en existe beaucoup dans la City, dont le deuxième étage est occupé par un fonds d’investissement. Rien d’étonnant dans ce quartier entièrement squatté par la finance. Sauf que ce fonds-là est d’un genre nouveau. Climate Change Capital est un "fonds carbone". Qui recherche bien sûr du rendement financier, mais en orientant l’argent vers des projets « faiblement émetteurs de carbone ». Pourquoi ?

Produits dérivés carbone

C’est que depuis les accords de Kyoto, en 1997, est instauré un « marché des droits à polluer ». Chaque industriel détient un volume de quotas de CO2, qu’il peut consommer ou revendre à une autre entreprise Il peut aussi en racheter pour polluer plus : le libre-échange étendu aux gaz à effets de serre.
Mais c’était trop simple.
Et trop sévère pour les firmes.
Alors, les gouvernements ont inventé un autre biais : le Mécanisme de développement propre (MDP). C’est un genre de bonus : un investisseur occidental qui ira construire un projet moins polluant que la moyenne – donc polluant quand même, mais moins - dans un pays en développement sera récompensé par l’attribution de nouveaux droits à polluer. Et c’est ici qu’intervient CCC : le fonds investit dans des projets « faiblement émetteurs en carbone », récupère des droits à polluer, et les revend avec la meilleure plus-value possible...
Parce que, en plus des industriels, les gouvernements ont permis aux financiers d’intervenir sur ce marché : banques d’affaires, fonds spéculatifs, fonds de pension. Les mêmes que pour la crise des subprimes, et avec les mêmes détournements : ces philanthropes vendent en effet des « produits dérivés carbone », de plus en plus complexes, avec des paniers qui mélangent différents projets du Mécanisme de Développement Propre, l’un en Chine, l’autre en Inde, le troisième au Brésil... Toutes ces valeurs sont vendues, revendues, alors que certains de ces projets ne sont pas encore démarrés !

Ça continue à Copenhague…

Cette bourse n’est plus marginale.
Les Etats-Unis et l’Australie vont entrer dans la ronde. L’aviation européenne à son tour, en 2012. A courte échéance, ce sera le plus gros marché de produits dérivés au monde.
Le paradoxe, c’est que Copenhague se déroule après une débâcle financière. Alors qu’est démontrée, dans la douleur, la stupidité d’une « main invisible du marché » qui régulerait tout pour le bonheur des hommes. Et pourtant, ce sommet devrait consacrer l’hégémonie de la finance : les « droits à polluer » se verront confirmés, et étendus. L’air est devenu une marchandise. Dans ce grand casino environnemental, Climate Change Capital a de l’avenir.

(article publié dans Fakir N°43, novembre 2009)

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