Les années 70 : Sepp Blatter, le digne successeur

par Antoine Dumini 30/05/2015

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A l’occasion de l’élection du nouveau président de la FIFA, alors que le monde semble découvrir la corruption qui gangrène la FIFA depuis plus de 40 ans, nous republions des textes extraits de notre ouvrage « Comment ils nous ont volé le football ».
Ici, on revient sur l’arrivée de Sepp Blatter à la tête de l’organisation.

[(

[*Comment ils nous ont volé le football*], de Antoine Dumini et François Ruffin, Fakir Éditions, 120 pages, 6 euros (+2€ de frais de port)

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Après 1974, avec l’axe Dassler-Havelange, le business s’empare de la Fifa. Mais, dans l’organisation, des hommes résistent à cette révolution : Helmut Käser, par exemple, son secrétaire général.
C’est André Guelfi, plus tard condamné dans l’affaire Elf, à l’époque proche de Dassler, qui se charge de l’intimider : «  Horst [Dassler] m’a dit  : "Écoute, tu ne pourrais pas t’arranger pour qu’on l’élimine, celui-là ? L’éliminer, pas physiquement." » Helmut Käser se plaint bientôt de harcèlement et d’espionnage : « Si on vous fait suivre, lui explique gentiment Guelfi, c’est pour essayer de vous faire trébucher. Ils vont essayer de vous avoir d’une façon ou d’une autre. Il vaut mieux que vous partiez la tête haute et que vous négociiez votre sécurité. » Le dirigeant acceptera finalement une « compensation ».
On n’est jamais mieux servi que par soi-même : le patron d’Adidas choisit directement le nouveau secrétaire de la Fifa ! Ce sera Sepp Blatter, alors directeur des relations publiques des montres de luxe Longines. Pendant plusieurs mois, Blatter travaille dans un bureau à Landersheim, le siège d’Adidas : «  On déjeunait souvent ensemble, se rappelle André Guelfi. On voyait bien comment il était, comme devant Dieu. Je l’ai trouvé complètement insignifiant. Il n’espérait même pas être nommé à la place de Käser et il savait très bien que seul Horst Dassler pouvait s’en charger. »
En mai 1981, c’est chose faite. Plus de gêneurs, plus d’obstacles. Les hommes de main sont en place : le marketing du foot peut devenir une véritable industrie, drainant des centaines de millions et bientôt des milliards...
[*
100 000 $ la voix*]

Ce pacte initial n’est toujours pas rompu : c’est le si indépendant, si irréprochable, si propre sur lui Sepp Blatter qui succède à Joao Havelange, depuis 1998 à la tête de la Fifa. Et au vu des méthodes utilisées pour cette élection, l’élève a sinon dépassé, du moins égalé le maître.
Le Somalien Farah Addo, ancien vice-président de la Fédération Africaine (CAF), dénonce : « La Confédération africaine avait décidé d’apporter la totalité de ses 51 voix à [son adversaire] Lenart Johansson, président de l’UEFA. C’est alors que j’ai reçu un appel téléphonique d’un ambassadeur de Somalie. Il m’a dit : "J’ai ici l’un de nos amis communs qui veut vous offrir 100 000 dollars pour changer votre vote. La moitié en cash et la moitié en matériel sportif. Il peut m’envoyer le cash ou je peux passer le chercher." » Addo refuse ce pot-de-vin. Mais le jour du vote, à Paris, il découvre qu’il n’est plus accrédité, qu’un autre officiel somalien a obtenu l’accréditation de la FIFA. Sepp Blatter est élu.
Deux mois plus tard, dans une déposition signée, le vice-président de la fédération somalienne, Mohidian Hassan Ali, témoigne : «  Nous avons accepté de l’argent pour voter, au nom de la Somalie, en faveur de Blatter lors de l’élection présidentielle à Paris.  » Et Addo ne décolère pas : « Je l’ai vu de mes propres yeux. La nuit précédant l’élection, des gens faisaient la queue à l’hôtel Méridien Montparnasse pour recevoir de l’argent. Après la victoire de Blatter, j’ai fait ma propre enquête et j’ai découvert que dix-huit participants africains au vote avaient accepté de l’argent pour voter pour Blatter. » La réponse du nouveau président à ces accusations ? « Le match est fini, les joueurs sont déjà retournés au vestiaire, je ne répondrai pas.  »

[*Des voleurs ?*]

Son élection est entachée, et sa gestion de l’institution n’est guère plus claire.
En 2002, son propre secrétaire général, Michel Zen Ruffinen, sort le bazooka : « Sepp Blatter règne sur la Fifa tel un dictateur. Des pertes ont été camouflées et les comptes arrangés. Rien n’a été fait dans la transparence. » La liste des griefs est longue : violation des statuts, conflits d’intérêts mais surtout corruption. Aussitôt réélu, Sepp Blatter s’empresse de verrouiller la Fifa à double tour : Michel Zen Ruffinen est aussitôt remplacé, quant à Farah Addo il écope d’une suspension de deux ans.
L’ancien attaquant brésilien Romario, aujourd’hui député, s’emportait au printemps 2014 : « Jérôme Valcke [nouveau secrétaire général de la Fifa] est le maître-chanteur le plus important du sport mondial et Sepp Blatter, le président de la FIFA, est un voleur, corrompu et un fils de p… Ces gars-là vont être millionnaires au détriment de la Coupe du monde au Brésil et rien ne se passe.  »
Rien ne se passe, en effet.

[(Sources :
Carton Rouge !, les dessous troublants de la Fifa, Andrew Jennings, Presse de la Cité, 2006
Sport Business, Barbara Smit, Presses de la Cité, 2009)]

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