Le retour des vautours

par Aline Dekervel 01/05/2006 paru dans le Fakir n°(28) Mai-Juin 2006

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Le printemps est de retour, et avec lui les huissiers et leurs avis d’expulsion. Justice aux yeux bandés : la SIP éjecte une mère de famille, femme battue...

« Je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit », me chuchote Estelle sur le banc du tribunal. Autour de nous, des couples, des mères et leurs filles, des jeunes, des vieux dans le même cas qu’Estelle : assignés en justice pour arriérés de loyer. « J’ai recopié plusieurs fois la lettre où j’expose ma situation, jusqu’à ce qu’elle soit vraiment propre, bien écrite. J’ai trouvé une astuce, parce que les caractères penchaient : j’ai pris une feuille à carreaux à ma fille, là, c’était mieux. »

Sa situation, c’est qu’Estelle doit un peu moins de 3 000 € à la SIP. Suffisant pour recevoir les visites de l’huissier et passer, ce matin, devant Monsieur le juge. Voilà deux ans, pourtant, qu’elle réclame un appartement plus petit : « En 98, j’ai aménagé dans un F.5 avec mes cinq gamins. Avec mes APL, les allocs, ça allait. » Mais depuis, les deux aînées se sont installées, le cadet de 21 ans « se laisse vivre », « je n’ai plus que mes deux plus jeunes. C’est vide, sans meubles, je suis logée chez Louis Carton... », et les aides fondent en conséquence : lui échoient 650 € à sa charge. Dur dur avec un RMI et 180 € de CAF...

Cercle vicieux

Aussitôt, elle réclame un F2, ou un F3. « Attendez que ça se libère », lui répond une conseillère. Donc sa dette s’alourdit, donc elle réclame à nouveau un F2 ou un F3, avec cette réponse désormais : « Impossible : il faut d’abord épurer votre passif. » L’engrenage est en marche : plus son endettement se creuse, plus on lui interdit une mutation, et donc plus son endettement se creuse, etc.

« J’ai pu donner 200 € à la SIP grâce à un rappel de RMI. Je veux leur fournir des petites mensualités, mais ils refusent : ils veulent tout ou rien, et tout je ne peux pas. Pourquoi ils ne veulent pas comprendre ? Faut que je braque une vieille pour trouver cet argent ? »

C’est une femme battue, Estelle, au départ. Voilà pourquoi elle a quitté sa campagne, ses cinq gamins sous le bras. A la télévision, dans le JDA, on pleure sur ces « victimes », « martyrs », etc. Pourquoi pas. Sauf que derrière, voilà la vie qu’on leur mène, à elle en tout cas : tout l’arsenal de la Justice contre elle, pas pour la reconstruire mais pour la briser une seconde fois.

(article publié dans Fakir N°28, mai 2006)

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