"Que les labos ne soient plus hors de contrôle" - Entretien avec Quentin Ravelli

par Cyril Pocréaux, François Ruffin 11/10/2017 paru dans le Fakir n°(82) Date de parution : septembre octobre 2017

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Quentin Ravelli, sociologue, a passé plusieurs mois en immersion chez Sanofi. Il est l’auteur de La Stratégie de la bactérie.

Fakir : Comme sociologue, pourquoi avez‑vous travaillé plusieurs mois pour Sanofi ?

Quentin Ravelli : J’ai toujours été étonné par une chose : que les produits de santé soient garantis par la Sécu, donc nos cotisations, et en même temps protégés par des brevets. Tout cela alors que les multinationales de ce secteur sont parmi les plus profitables. Franchement, je ne comprenais pas. Et puis, en lisant sur le sujet, je me suis aperçu qu’on ne parlait presque jamais de la partie industrielle : on parlait de « laboratoires », on avait l’image des blouses blanches, mais la réalité est bien différente : on a affaire à du travail en 5x8, épuisant, etc.

Fakir : Votre livre s’appelle La stratégie de la bactérie. Pourquoi ?

Q.R. : C’est une métaphore de la stratégie des labos, mais pas seulement. J’ai suivi le parcours de la Pyostacine, l’antibiotique développé par Sanofi contre une bactérie. Mais aujourd’hui, et c’est d’ailleurs un problème médical mondial, les bactéries sont devenues résistantes, développent leurs propres défenses. Tout comme une grande entreprise comme Sanofi est devenue résistante à toute critique. Elle l’intègre.

Fakir : Et pourquoi ?

Q.R. : Entre autres parce qu’il y a un morcellement de la critique. De l’employé sur son site qui n’en peut plus au médecin qui en a marre, en passant par le chercheur licencié, l’association de patients, on est sur des milieux sociaux totalement différents. Il y a des barrières qui font qu’il n’y a pas de jonction de la critique. La question est : ces gens peuvent‑ils avoir des intérêts communs ?

Fakir : Comment changer la Big Pharma, dès lors ?

Q.R. : L’idée clé, c’est une démocratie de la santé. De l’Assemblée nationale aux agences gouvernementales, dans les partis politiques, il faut faire avancer cette idée d’une démocratie médicale. Que les labos ne soient pas hors de contrôle du citoyen, alors que nous les finançons.

Fakir : Vous prônez quoi ? Une nationalisation de ces entreprises ?

Q.R. : Elles l’ont été pendant le premier septennat de François Mitterrand… La question, c’est plutôt comment on les contrôle, et qui le fait ? On devrait pouvoir en discuter avec le grand public, les salariés… En tout cas, la transparence doit être un programme d’urgence : quels sont les coûts de production ? les salaires ? comment on pratique la recherche ? Alors que c’est aujourd’hui sous le sceau du secret. Il faut retenir les leçons de l’histoire : on considère que les brevets sont une bonne chose, parce qu’ils stimuleraient la recherche. Or, de 1844 à 1969, le système des brevets n’existait pas, et c’est là qu’on a trouvé le plus de molécules. Et le procès de Prétoria, en 2001, ouvre des perspectives.

Fakir : On rappelle ce que c’était. À la fin des années 1990, l’Afrique du Sud paie un lourd tribut au Sida. Le pays de Nelson Mandela inscrit alors, dans sa loi, la possibilité d’importer des médicaments à moindre coût, de produire des génériques, en contournant le droit des brevets. Mais 39 groupes pharmaceutiques portent plainte, sûrs de leur bon droit. Ils reçoivent d’ailleurs le soutien du gouvernement américain et de la Commission européenne : la propriété (intellectuelle, ici) d’abord ! Et tant pis pour les malades... Mais à l’ouverture du procès, le 5 mars 2001, les malades, justement, se signalent. Ils viennent témoigner devant la cour, se portent partie civile, évaluent à 400 000 le nombre de morts depuis que la loi est bloquée par ce recours. De juridique, le procès devient humain : le droit des brevets peut‑il prévaloir sur le traitement des malades ? Et cette association demande aux compagnies pharmaceutiques de justifier le prix de leurs médicaments. Elles ne savent pas répondre. Les firmes réclament trois mois pour préparer leur défense, leur argumentation sur le prix de leurs propres productions. Le juge accorde six semaines. Durant ces six semaines, l’opinion internationale se mobilise, Médecins sans frontières, Sud‑Chimie, via des pétitions en ligne, les médias, le Parlement européen... Quand le procès reprend, le 18 avril, la pression est sur les labos. Eux réclament un report. Leur unité se fissure. Dès l’après‑midi, 37 sur 39 ont abandonné leur plainte. Et le lendemain matin, c’en est fini. L’industrie pharmaceutique accepte même de payer les frais de procédure. Leur défaite est totale.

Q.R. : Vous faites bien de rappeler cette histoire. Ça prouve que des victoires contre ces grosses boîtes sont possibles. Mais il faut, comme le montre cet exemple, que la démocratie, le peuple, se mêle de sa santé.

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