Nationaliser les banques...

par L’équipe de Fakir 15/05/2017 paru dans le Fakir n°(41) mai-juin 2009

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En été 2009, Fakir avait rencontré François Morin. Il avait espoir que la crise donnerait au PS de l’audace... C’est loupé.

En 1981, Mitterrand et ses "camarades" arrivent au pouvoir et promettent de "nationaliser le crédit". Recruté comme "conseiller technique", l’économiste François Morin assiste à cette expérience en première ligne. Et au bataille des deux gauches.
De l’intérieur, il nous raconte aujourd’hui cet épisode. En montre les limites. En tire surtout des leçons pour la crise présente.

Fakir : Vous éitez au Parti Socialiste, en 1981 ? Ou proche du parti Communiste ?

François Morin : Non, j’étais surtout un universitaire. J’avais publié des travaux sur les nationalisation, sur les banques, et comme jeune économiste qu’on m’a appelé suite à une tribune parue dans Le Monde. A partir de juin 1981, j’ai travaillé comme "conseillé technique au secrétariat d’État en charge de l’extension du secteur public", donc auprés de Jean Le Garrec qui était directement rattaché à Matignon.

Fakir : Quel était l’objectif de ces nationalisations

François Morin : La gauche s’était trop souvent heurtée au "mur de l’argent"- avec des financiers qui serraient les cordons de la bourse. Aussi, le Programme commun l’indiquait clairement : la distribution du crédit est trop importante pour qu’on laisse des pouvoirs privés en tenir les leviers. Ça devait donc revenir aux mains du peuple souverain, c’est-à-dire de l’Assemblée.

Fakir : On allait donc nationaliser toutes les banques ?

François Morin : Vous posez la question clé : quelle ampleur donner à ces nationalisations ? La France comptait alors 400 banques environ. En enlevant les banques étrangères et les mutuelles, il en restait à peu près 250. Le Parti Communiste et la gauche du PS, souhaitaient qu’on les nationalise toute - ou presque toutes.
En face, il y avait notamment Jacques Delors. Lui avait reçu tous les banquiers, il tenait à rassurer la finance internationale - et donc, dans son avant projet en préparation, il proposait de nationaliser six banques !

Fakir : Seulement six ?

François Morin : Oui, six sur quatre cents ! L’article 1 disait : "Toutes les banques sont nationalisées", et l’article 2 : N’entre pas dans le champ de la loi ceci, ceci, cela. Avec six banques à l’arrivée, alors que le Programme Commun annonçait la nationalisation du crédit ! Du coup, ça ne passait pas politiquement.

Fakir : C’était le pire de tous, non, Delors ?

François Morin : (Rires.) Disons qu’il était sur une position minimaliste. Il regardait la Grande-Bretagne de Thatcher, les USA de Reagan, le vent libéral soufflait très fort... On n’était pas comme aujourd’hui dans un contexte de crise idéologique...

Fakir : Sauf que c’était le socialisme., et pas le libéralisme, qui souffrait d’une crise idéologique...

François Morin : Voilà. Et donc Delors répétait : "On est fou". Il menaçait de démissionner tous les quinze jours. Et comme il était battu régulièrement dans les débats interministériels, comme avec Rocard il était minoritaire au PS, il étalait ses divergences par voie de presse. Alors qu’il n’était pas autorisé à le faire.
En face, il y avait les autres, qui disaient : "On est une nation, on a une histoire, on est de gauche, on va essayer de faire quelque chose." Mauroy, comme Premier Ministre, était au milieu, et il se débrouillait.
Pour les banques, par exemple, dès aout 1981, le dossier a été retiré à Delors. Et Matignon l’a récupéré, donc nous.

Fakir : Et qu’est-ce que vous avez décidé ?

François Morin : Notre Secrétariat proposai alors la nationalisation de tous les établissement qui disposaient de plus de 500 millions de totaux de bilan. Soit soixante banques.
Et puis, en dernière minute, un coup de fil est tombé de l’Elysée. J’étais dans le bureau de Jean Le Garrec, à ce moment-là. C’était Jacques Attali au bout du fil : " Après examen par le Président de la République, le seuil est relevé de 500 millions à un milliard." Nous, on en est restés pantois ! Alain Boublil, pour le compte de Mitterrand, assistait à toutes nos discussions : Il ne disait pas un mot. Et d’un coup, voilà que la décision finale balayait nos analyses.
Ça ne laissait plus que trente banques à nationaliser. Et parmi les établissements qui échappaient, dans la dernière ligne droite, aux nationalisations, Lazard.
C’est une interprétation, il faut rester extrêmement prudent, mais c’est la lecture que nous avons avons faite, nous chez Le Garrec, à Matignon : Il ne fallait pas toucher à Lazard.

[(QUE FAIRE ?
La finance... sans les financiers ?
"La finance est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux financiers" voilà la conclusion , évidente, à tirer de la crise de 2009.
Mais que faire, contre ces banques privées qui spéculent sur des marchés virtuels plutôt que de prêter ici et maintenant ? contre cet argent immatériel qui est devenu un joujou entre leurs mains ?
Prendre le pouvoir et "nationaliser le crédit", tout simplement comme le réclamaient encore les socialistes en 1981. Ou tant que Fakir et ses complices n’ont pas pris le pouvoir, brûler l’euro et établir une monnaie qui serve aux échanges et non la spéculation.
)]

Fakir : Mais à quoi ça a servi, ces nationalisations ?

François Morin : D’abord, les établissements se sont regroupés

Fakir : Ça, au fond, c’est juste aider le capitalisme à se rationaliser...

François Morin : Oui, vous avez raison. Ensuite, on a démocratisé les Conseils d’Administration : là où ne siégeaient que des financier, on a mis : un tiers Etat, un tiers personnes qualifiées, un tiers syndicalistes. Et surtout, il y avait l’idée de créer la BNI...

Fakir : La quoi ?

François Morin : La "Banque Nationales d’Investissement". C’est Jean Deflassieux, le président du Crédit Lyonnais, un socialiste, qui nourrissait ce projet. Il fallait tout regrouper en seul pôle, pour intervenir efficacement dans l’économie.
Régulièrement, Deflassieux passait dans mon bureau : " Bon alors, cette BNI, elle en est où ?" Mais on voyait bien que ça n’était pas dans l’air du temps : autant Matignon que l’Élysée ont freiné.

Fakir : On s’est arrêtés au milieu du gué, alors ?

François Morin : Tout à fait. C’est une expérience inachevée

Fakir : Qui serait à reprendre ?

François Morin : Les circonstances ont changé : en 1924, en 1936, la confrontation avec l’Argent se déroulait sur un terrain national. 1981, c’était à mi-chemin : l’échec a montré que l’international influe. Désormais, on est d’emblée plongés à l’ère globale. Donc, premièrement, il faut une régulation mondiale...

Fakir : Mais ça, ça développe un sentiment d’impuissance. Est-ce que ça signifie que plus rien ne peut se faire dans un pays ?

François Morin : Non. La crise présente démontre que, pour répartir l’argent au plus près des besoins des Hommes, on ne peut pas faire confiance au Marché. Livré à lui-même, les spéculateurs spéculent avant tout. Un exemple : alors que des sommes gigantesques sont échangées pour un court terme toujours plus court, comment croire que "la main invisible du marché" va permettre des investissements écologiques qui aboutiront dans les trente ans ? Pour ça, encore aujourd’hui, il faut réclamer un pôle financier public.

Fakir : Donc on nationalise tout ?

François Morin : Pas forcement tout. Mais on ne peut pas se contenter d’une pincée de banques publiques dans un océan de privées...
J’ai une seconde proposition. Là, les gens qui me connaissent sont éberlués, je leur paraissais sérieux mais il me regardent avec des grands yeux : je propose de supprimer les bourses. Pourquoi ? Parce que l’existence des bourses d’actions se justifient, normalement, en disant : " Les entreprises ont besoin d’argent." Mais il est facile de démontrer que les bourses d’actions n’apportent plus, depuis près de vingt ans, de fonds propres aux entreprises. Au contraire. Leur fonction première n’est plus remplie. elles sont devenues de purs lieux spéculatifs.

Mais pour l’instant, les politique - et même le PS - sont très timides. J’espère que, pour les affaires économiques, la crise aidant, il vont retrouver une certaine audace...

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Messages

  • Pouah, c’est sûr que les soc en ont eu de l’audace depuis 2009...

  • Bonjour,
    Avez-vous entendu parler de l’initiative monnaie pleine en Suisse ? Ce mouvement préconise non pas de nationaliser les banques mais la monnaie. Aujourd’hui, quand une entreprise privée vend un produit, celui-ci existe réellement. Alors que quand une banque privée "vend" de l’argent, sous forme de prêt, celui-ci n’existe pas réellement ! Quel privilège ! En nationalisant la monnaie, une banque privée ne pourra alors prêter que l’argent qu’elle possède réellement dans ses coffres.

    Le site de ce mouvement Suisse contient de nombreuses explications. Leur objectif est de soumettre cette idée à référendum. En France, je ne sais pas si l’idée de nationaliser la monnaie est soutenue par un quelconque mouvement.

    F.O.M