Merci patron !, le test Sapag : « Tu nous as vengés, mon garçon ! »

par François Ruffin 02/03/2016

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Merci patron ! était projeté, samedi dernier, à la médiathèque de Ham (80), devant les ex-Sapag.
Un test : ce film peut-il aider à redonner un élan, à remettre un peu en mouvement ?

« Ah, bravo ! Alors là, bravo mon garçon ! » Un grand gaillard à bretelles, costaud rougeaud, s’est levé, au fond dans la salle, et il applaudit à tout rompre. Je préfère qu’il fasse cet usage de ses mains, parce que c’est des battoirs qu’il a, s’il m’en collait une, à cause d’un désaccord esthétique, je ferais trois fois le tour sur moi-même et trois fois le tour de la pièce. « Tu nous as vengés, jeune homme ! Tu leur as mis dans le cul, mais alors jusque là ! Jusqu’à l’os ! » Et de joindre le geste à la parole, un doigt qui s’enfonce bien profond dans l’orifice des patrons.

Cette critique ciné, venue droit du peuple, me va droit au cœur.
C’était une projection importante pour moi, ce samedi soir, à la médiathèque de Ham (80). Pas la plus massive, mais la plus utile peut-être, comme un test pour la suite, sur l’utilité de mon film : y assistaient une cinquantaine d’ex-SAPAG, avec leurs familles, leurs soutiens.
Perdus au fin fond de la Somme, liquidés par un actionnaire américain, eux désespèrent. Un plan prévoit 55 licenciements en septembre, et le reste suivra, jusqu’à liquidation. Malgré la bonne santé de leur boîte.

J’ai vu, là, dans leurs yeux, après la séance, dans leur émotion, que Merci patron ! était fait pour eux. Que je l’avais « pris » à Marie-Hélène, à Jocelyne et Serge Klur, ce film, mais que je pouvais le rendre à toutes les Marie-Hélène, à tous les Klur. Que dans leur grisaille ils éprouveraient une heure et demie de fantaisie, et même un peu au-delà. Que le cinéma, c’est étymologiquement l’art du mouvement, et que mon travail pouvait servir à ça, à les remettre en mouvement.

Patrice, à sa vigoureuse manière, a bien témoigné de ça.
Et Fanny, dans un registre plus ému : « On a des soutiens, faut pas les lâcher, sinon... bah on va se retrouver tout seul... Y a Kevin, on le connaissait pas, mais il est là pour nous. Y a Alice, que j’ai appris à connaître, et qui va devenir une amie. Faut qu’on pourrisse la vie de Pentair, qui nous pourrit la vie. »

Le réflexe, quand on se prend des coups sur la tête, c’est de se replier, mais faut pas

Qu’avais-je à leur dire, moi ? Pas grand-chose. Sinon de ne pas rester isolé. Je sais bien que, le réflexe, quand on se prend des coups sur la tête, c’est de se replier, de déprimer dans son coin, mais faut pas, il faut saisir toutes les mains tendues, toutes les rencontres possibles, qui viennent d’autres horizons, parce que, sinon, le monde s’en foutrait de cette usine qui ferme, aux confins de la Somme, de leurs manifs derrière une banderole dans leur bled perdu, qu’il fallait mettre de l’imagination dans leur lutte, pour se demander, toujours, comment les faire chier, en face ? comment leur nuire, à eux qui vont briser vos vies ?

On a commencé à évoquer des pistes, ensemble : relever les filiales de Pentair dans les paradis fiscaux, en faire un cas d’école pour les économistes Lordon et compagnie, arrêter la production, monter aux États-Unis pour rendre visite au siège, et d’autres trucs pour bien signifier que « ça suffit », que sans nourrir des illusions ils ne se laisseraient pas bouffer tout crus.

Mais il était tard, et on n’allait pas régler ça en un soir.
On se reverrait, on a convenu, et très vite.
Peut-être même avant le samedi 12 mars et « Le réveil des betteraves ».

On a bu le coup de cidre, après. Sur le gâteau au chocolat, y avait inscrit « Je suis Sapag »
« C’est formidable ! s’étonnait Kevin, qui anime la page facebook des Sapag et le comité de soutien. Je ne m’attendais pas à ça… » Dans le bruissement des conversations, on devinait ça : qu’on avait apporté un peu de joie.
C’est pas énorme, mais c’est déjà beaucoup.
Car pour l’élan, la colère ne suffit pas : il y faut une part de lumière.

[(Les Sapag seront présents le samedi 12 mars à Amiens pour « Le Réveil des betteraves ». Ils dialogueront avec l’économiste Frédéric Lordon.)]

[*La page facebook du comité de soutien :*] Je suis SAPAG

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Messages

  • Magnifique d’avoir pu reprendre par la ruse des moyens outrageusement spoliés. Encore bravo. Mais qu’en est-il de votre réflexion permettant à tout un chacun de parvenir à ce résultat sans en passer par de la haute stratégie ?

  • MERCI ! MA-GNI-FI-QUE !!!! vous avez fait LE film qu’il fallait faire ! celui que j’aurais aimé faire si j’étais pas si fainéante .... celui qui m’a "réconciliée" (enfin presque) avec une gauche + sociale que socialiste (les "istes", ça n’est jamais très bon, avez-vous remarqué ?)
    BREF, en long, en large et en travers, JE VOUS AIME !

  • Si tu veux que ça bouge ... BOUGE TOI...

  • C’est classe et jubilatoire !

  • ’Merci patron’ Que du bonheur ! Cependant, j’ai une crainte, que je résumerais par le mot de votre admirateur : "Merci, vous nous avez vengés !" Comme si cette ’estorcade’ de quelques milliers d’€ sur les milliards de la fortune d’un seul prédateur mettait soudain les exploiteurs et les exploités à égalité : "voila, on les a bien eu ! cette fois, on est quitte !". Mais hélas, non ! on n’est pas quitte !
    Et j’aimerais qu’on revienne à la gravité de la situation, qu’on annonce des suites à cette magistrale et sordide farce ! Dire que ça ne peut plus durer, que maintenant on ne rigole plus ! qu’on va imaginer d’autres actions et qu’on ne lâchera pas tant que la pauvreté sévira alors que les prédateurs continuent de se pavaner et de nous mépriser en toute impunité !
    Nous sommes tellement nombreux, ils ne sont qu’une petite poignée et fragiles en plus ! (vous l’avez démontré) ; d’ou vient notre impuissance ?
    Est-ce le fait de tout prendre avec humour, comme vous le faites si bien, qui dédramatise cet état d’arrogance intolérable ?
    J’ai l’impression qu’on s’habitue, qu’on admet ces inégalités injustifiables ! On se résigne ;
    Je ne suis pas d’accord ! Même si cette situation est planétaire, on ne doit pas l’accepter ! Il faut se révolter pour mieux partager.
    J’assume cet appel à la résistance et, si je suis poursuivi comme ’agitateur’, je m’eu fous ! à mon âge, ils ne vont pas me faire trembler !!
    Bravo à vous tous, continuez et tenez bon !

  • Suite au retour du modérateur du site" ALLOCINE..."

    Scandalisée mais pas étonnée ni surprise....
    Voici le retour du modérateur du site AlloCiné sur ma critique du film...

    Un grand MERCI à toute l’équipe FAKIR ;-)))
    Que ça fait du bien !!!!!
    Pourtant athée jusqu’au bout des ongles, j’use de l’expression —> David contre Goliath, enfin ça marche !!!!
    JOUISSIF !!!!
    QUE DU BONHEUR et cela me redonne l’envie de militer.
    Bravo à Toutes et Tous
    ********************************************************************************************************************************
    Comme je vous l’avais dit, informaticienne depuis 14 ans, et donc très avertie sur les travers et pouvoirs des Systèmes d’Informations, je vous dit que "Big Brother" est là...

    Le 1er refus que j’ai reçu hier du modérateur me disait qu’il y avait trop de majuscule...
    E voici qu’à l’instant, le modérateur dit :
    "Votre critique a été modérée et retirée du site car elle est hors sujet et/ou manque d’argumentation et de précision".

    Je ne vais pas être vulgaire dès le matin... Mais ça me ferait du bien de vous dire "Enfoiré de site" à boycotter à tout prix !!!

    ENFIN, vous m’avez permise de re-croire à la lutte des Classes !!!
    Disponible pour militer à vos côtés dès demain !!!

    Encore, BRAVO !!! A François Ruffin et toute l’équipe du tournage.
    BRAVO !!! à Jocelyne et Serge Klur, bouleversant-e...
    COURAGE à tous les ex-SAPAG !!!