La bio illusion

par François Ruffin 02/09/2016 paru dans le Fakir n°(74) 20 février 2016

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Stéphane comptait se la couler douce, à la campagne. Pendant que Valérie cultivait son potager bio. Loupé.

Jumilhac, vendredi 8 janvier.

« On avait mis notre maison en vente sur Le bon Coin... »
Dans la nuit, les essuie-glaces grincent sur le pare-brise.
« La semaine dernière, on a retiré l’annonce. Grâce aux 2500 € qu’on a reçus du crédit d’impôt, ça nous a redonné un peu espoir... »
C’est un ex-dessineux de Fakir, Stéphane. Il m’a proposé le gîte, et il en profite pour me retracer sa carrière parce que, ces dernières années, de loin j’ai du mal à suivre : tantôt emballeur de madeleines à la chaîne, pigiste pour « Réussir en Périgord », vendeur de hamburger dans sa camionnette.
« Et Valérie ? je demande.
- Elle n’arrête pas de bosser, je comprends pas. »
C’est sûr que, pour Stéphane, ça relève du mystère, le travail. Lui s’affiche comme un branleur invétéré, et désormais contrarié. Les héros de sa BD, « Trip et Trash, glandeurs associés », ne décollent pas d’un canapé où ils alternent bières et pétards.
« Elle passe ses journées dans ses serres, à faire pousser ses légumes, jusqu’à la nuit, ou à essayer de les vendre sur les marchés. Mais là, la sécheresse, ça lui a laminé le moral. Elle a baissé les bras. Mais pour qu’elle s’accorde une pause, il a fallu qu’elle se fasse opérer du pied. »
Dans leur jolie baraque, maintenant, rustique en bois et tout, qu’ils ont retapée à la force des poignets, on chuchote. Leur fils Lenny, quatre ans, dort à l’étage au-dessus.

« Le bio, c’est une illusion. »
Valérie a le visage creusé, et elle tranche d’emblée : « C’était mon métier. En Guadeloupe, déjà, je travaillais quatorze par jour dans les plantations, mais au moins je gagnais des sous. Je voulais gagner beaucoup moins, mais avoir du temps…
- Ah, ça,
l’interrompt Stéphane, gagner beaucoup moins, l’objectif est atteint !
- Au bout de quatre ans, t’en as marre. Les premières années, tu te dis, c’est parce que c’est le début, il faut trouver la clientèle, le bon rythme, d’abord investir, mais au bout de quatre ans ! Cette année, c’est la sécheresse, qui m’a fait perdre 6 000 € de production. Tu te crèves, et juste pour quoi ? Pour payer la MSA, qui te pompe pour rien, les fournisseurs…
- Si, on a quand même des courgettes à volonté !
- Mais les organisations agricoles,
je l’interroge, elles ne t’avaient pas prévenue ?
- Non. Agrobio, la Maison des paysans, c’est des gens sympas. Mais ils

t’encouragent dans ton truc, ils veulent des installations. Avec un vrai accompagnement, ils seraient venus sur place, ils auraient testé la terre, vu qu’elle était pas faite pour le maraîchage…
- Qu’est-ce qu’elle a ?
- Elle est trop acide. Mais y a eu aucune étude de sol, aucune étude de marché. Je voudrais 1 000 € par mois, mais je sais que je n’y parviendrai pas. Même physiquement, je ne tiendrai pas. Mais je suis condamné à continuer…
- Ah bon ? Pourquoi ?
- J’ai reçu 40 000 € d’aides. Si je lâche avant cinq années, je dois rembourser…
- Mais est-ce que c’est pas un prétexte, l’argent ? Est-ce que tu t’acharnes vraiment à cause de ça ?
- Ouais, ouais…
(Songeuse.) J’ai besoin d’un projet pour fonctionner. Là, si mon projet s’effondre, qu’est-ce que je vais devenir ?
- C’est vrai,
reprend Stéphane. Si y a vraiment besoin, je peux retourner chez Bijou, dans les madeleines…
- Ah bon ?
s’étonne Valérie.
- Euh, non en fait… J’ai tenu six mois là-dedans, je me sentais vraiment en taule. Val me supportait plus, je ne me supportais plus moi-même.
- Ouais, et puis Bijou, c’est s’ils ont besoin…
- … et en ce moment, ils n’ont pas besoin.
- C’est une épidémie, en ce moment, dans notre coin,
diagnostique Valérie. Rien que dans le village, y en a quatre qui viennent de démarrer en maraîchage bio, la terre est pas chère.
- Tu les avertis ?
- Je les préviens, mais sans les décourager : qu’ils ne comptent pas là-dessus pour vivre.
- Y a pas encore eu de suicide, positive Stéphane, donc tout va bien ! »

Valérie rigole, quand même.
« Le plus qui arrivent, elle poursuit, c’est des informaticiens.
- C’est marrant,
je théorise : c’est comme si, plus leur métier est abstrait, dans les ordinateurs, dans les codes, plus ils aspirent à un retour à la matière et à la terre, à du concret… »
La néo-paysanne regarde sa montre.
« Bon, faut y aller.
- Où ?
- A la banque. Je voudrais récupérer 1 500 €. C’est mon argent, parce que, pour me lancer, j’ai dû faire un dépôt de garantie de 15 000 €, mais j’espère qu’ils voudront bien m’en laisser 10 %. Sinon, je ne pourrai pas payer mes semences, mes fournisseurs… »

Valérie s’éloigne en claudiquant.
La bonne nouvelle, c’est que Stéphane va reprendre du service comme dessineux : « Entre la maison à bricoler, le terrain à bêcher, le gosse à torcher, aller chercher ma viande, nettoyer la friteuse, ça faisait beaucoup pour quelqu’un qui veut rien branler ! »

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Messages

  • Bonjour,

    Message pour valerie : qu’elle se rapproche de la ferme du bec helluin pour l’amélioration de sa terre, et d’une manière plus globale des concepts de permaculture.

    Amicalement

    Stéphane

  • la MSA elle te ’pompe’ pas pour rien.
    si t’as pu te faire opérer du pied c’est grâce à tes cotisations.
    ’avec un vrai accompagnement’ (d’agrobio) : il va jusqu’où l’accompagnement ? tu veux qu’ils te fassent les semis, qu’ils arrosent et qu’ils vendent sur les marchés ?
    Belle mentalité française.

  • On ne s’improvise évidement pas dans un métier aussi difficile que le maraîchage Bio. Fils de paysan et ayant grandi à la ferme et travaillé 20 ans dans ce domaine, on a évidement une certaine liberté mais aussi des contraintes. La liberté est un choix de contraintes. Tous n’ont pas conscience de ça. Ceci dit il y a aussi des cas où les gens réussissent et sont bien conseillés. A partir du moment où l’on est son propre patron (merci à lui) on a les inconvéniens des petits. Surtout que les primes agricoles sont très injustement réparties : 80% des primes à 20% des agriculteurs...en gros, plus tu as d’hectares et plus tu touches. On devrait les redistribuer pour le maraîchage BIO. C’est difficile de tenir les employés en maraîchage ; ils jettent l’éponge après une ou deux années...c’est un boulot très physique. Un copain installé avec son frère a trouvé un compromis avec l’embauche de deux 3/4 temps. Semaine de quatre jours, les employés ont le temps de souffler. Grace à la redistribution des primes, ce serait un moyen intéressant de créer du vrai emploi avec un vrai sens. Là, les primes servent à continuer à faire tourner l’agro industrie destructrice d’emplois et d’environnement.

    Jérôme Rousselet

  • Et oui ,l installation agricole,le pb du foncier agricole...je termine une conf gesticulee "de la bouze à la bourse",ça parle de ça et de solution ,salaire à vie,insurrection paysanne,chouannerie...

  • c est certainement inutile . mais pour les sols acide, il existe des intrant bio a base de coquille d huitre. il y a un fournisseur en Charente maritime.
    bonne chance a vous

  • c’est quand même étrange comme certains citadins s’imaginent que faire du maraîchage est simple et facile, a portée de n’importe qui !!! et bien non les gens, Maraîcher est un métier ! ça s’apprend ! et forcément pas tout le monde est fait pour ce genre de métier....
    Maraîcher bio peut rapporter de quoi vivre assez facilement (de quoi vivre, hein ! sûrement pas devenir riche !)..pour quelqu’un qui connait le métier, qui sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait....
    l’histoire de terre acide c’est du gros n’importe quoi !! je suis en Cévennes, la terre acide nous donne de très beaux légumes !! à profusion !! la sècheresse : faut savoir ou implanter les cultures et gérer son arrosage/irrigation et les apports du sol....c’est pas forcément très compliqué, mais faut savoir le faire !
    Les parigots en mal de nature, c’est bien joli, mais le métier d’agriculteur ne s’improvise pas, contrairement à ce qu’essaient de faire croire les pseudo-reportages du w-end en fin de journal de 13h, ou l’on nous montre que des conversions "heureuses"...
    non ce n’est pas si simple...tout en étant très simple....

  • Merci de dire que la Terre c’est dure, que toute les terre ne peuvent faire pousser toute les plantes, et que les assos d’accompagnements sont des amateurs , interréssé surtout a ce qu’eux aient un job (payé par l’état, ou les par nouveau paysans), mais c’est pas forcement pro .
    Juste sur cette phrase qui est fausse "Le plus qui arrivent, elle poursuit, c’est des informaticiens.
    ...plus leur métier est abstrait, dans les ordinateurs, dans les codes, plus ils aspirent à un retour à la terre a du concret… »"
    Heu ben non , c’est assez faux , 18 ans informaticienne dont 10 a écrire des programmes, et je suis devenue psy ... Et si les informaticiens sont bcp en reconversion , c’est que l’informatique est le métier qui en terme d ’effectif est énorme, et pas parce que c’est trop bien, non, c’est parce que les conseillés d’orientation , on collés tout les bon en math dans ses filières, et qu’il y a du boulot et payé . Voila.
    J’ai pleins de pote qui font ça parce qu’on leur a dit se sera bien , mais faire des programme commerciaux, de factures , de stock , de paye ... y’a plus rêveur, et pleins de ces gens sont en fait plutôt concret, meme en informatique c’est bien, quand ils se reconvertissent, ben la ils ne se trompent pas, tout comme moi qui suis restée dans un métier abstrait, parce que j’aime ça , et il faut de tout pour faire le monde, l’un n’est pas mieux que l’autre, le tout c’est d’y prendre plaisir. et on est aussi les 2 a la fois...

  • bonjour, un petit rajout à mon précédent post.
    voici ce qui est possible lorsque l’on a la passion et le savoir :
    http://www.bastamag.net/L-extraordinaire-productivite-d-un-petit-potager-de-50-m2-un-exemple-pour
    Paysans, jardiniers, futurs agricoles, etc , ne croyez pas les pseudo-conseils des "accompagnateurs" de la FNSEA et autres organismes pro-intensif (dans le mauvais sens du terme, car l’intensif peut être très bien,rentable et écologique, voir l’exemple sur 50m2 !!!).
    il serait temps pour nos politiques de pousser les petites et très-petites structures agricoles (bio évidemment !) à se réaliser, au lieu, au contraire de leur mettre des bâtons dans les roues, et inversement de pénaliser, diminuer, et surtout d’arrêter de subventionner les fermes aux "1000 vaches" les Monsanto-lands & co...
    L’emploi en France n’aurait qu’à y gagner, des dizaines de petits producteurs bio sur de petites surfaces qui remplaceraient ces grosses "machines" polluantes de 300ha(voire +) , responsables de diminutions d’emplois et de destructions écologiques que sont les grosses exploitations...
    Des études, vérifiées,et pratiquées montrent qu’un revenu est possible en permaculture sur une surface de 1000m2....
    Tout le système agricole est à refaire, et la Nature nous en remercierait !

  • perso, je n’aime pas le titre de l’article. il laisse entendre que le bio serait une illusion. alors que l’article parle d’une seule expérience un peu malheureuse de quelqu’un plein de bonnes intentions mais pas forcément bien préparé. viens chez nous françois, je te présenterai valérie, ancienne vendeuse de perçeuses nucléaires chez lerin merloy et qui aujourd’hui s’éclate dans plusieurs amaps grâce à sa reconversion dans le maraîchage bio. mais bon, pour le ton de l’article, je sais que tu es plus rouge que vert...
    alors pour le titre, peut-être "la bobo illusion" ?

  • Je ne remet pas en doute leur parole mais avant de se lancer , on jauge la qualité de la terre non ?
    Monsieur devrait l’aider. Ce témoignage me laisse perplexe ...