Chers amis, chers lecteurs, chers Fakiriens

par François Ruffin 24/07/2017

On a besoin de vous

Le journal fakir est un journal papier, en vente dans tous les bons kiosques près de chez vous. Il ne peut réaliser des reportages que parce qu’il est acheté ou parce qu’on y est abonné !

J’éditorialise avec deux de tension, et je vous présente ma démission. En bas de cette page, je décline toute responsabilité.

Ah, si nous avions perdu !
Si nous avions perdu, nous prendrions le temps, là, paisiblement, tranquillement, de vous raconter nos péripéties électorales par le menu. Avec les copains, on ferait des soirées diapos. On se remonterait le moral à la terrasse des bistros. On lirait, pour comparer, des récits sur Sanders et Podemos. On tirerait les leçons de notre échec, se consolant comme quoi, quand même, « nous avons semé les graines de l’espoir », et ce serait un peu vrai.

Mais voilà, malheureusement, nous avons gagné.
Malheureusement pour vous, parce qu’à la place d’un journal, d’un truc costaud, solide, sérieux, vous avez quoi ? Un brouillon, des fragments, à peine des notes, c’est scandaleux.
Parce que, il faut l’avouer, ce canard, on vous le rédige entre deux portes, entre une réunion de la Commission des affaires économiques et des amendements contre les ordonnances, entre un passage à France Inter et une manif à République, avec la boîte à lettres qui déborde, mille courriers avec plaintes sur l’emploi, le logement, les papiers, cave inondée, tout-à-l’égout défectueux, avec invitation à une fête des voitures anciennes, à une parade de fanfares, à une visite de canaux... Et en plus, le truc qui me stresse le plus cette semaine : l’anniversaire de ma fille, six ans au compteur, la chasse au trésor à préparer pour ses « Jeux Olympiques des princesses », et le sentiment qu’avec mes bêtises je laisse filer l’essentiel.

Après six mois de campagne, à sonner le clairon et battre le tambour, je suis usé, épuisé, rincé, lessivé, et les copains pareil, ou à peu près. Nous avons vécu dans un tourbillon de visages, un déluge de paroles, une masse de papiers, l’inquiétude rongeant les nerfs et les nuits, ma volonté ramassée en un bloc.
Cette aventure, j’aimerais maintenant en restituer la logique, dresser comme un hommage le portrait des bénévoles, des formidables bénévoles, qui nous ont accompagnés, en faire comme un livre de recettes pour les futurs militants, car je le sais bien : la mémoire de cet événement compte autant, sans doute, que l’événement lui-même.
Mais comme après chacune de nos bagarres, j’ai besoin de m’écrouler.
De fermer les volets.
De couper le téléphone.
De ne plus ouvrir l’ordi.
De me glisser dans le lit.
De ramper jusqu’au frigo.
De m’avaler des films de Capra et des canettes de Coca, des romans de Giono et des gâteaux apéros.
De somnoler, de comater, de paresser.
ça peut prendre deux jours, ou trois, ou une semaine.
Le temps que germe une idée.
Le temps que renaisse l’envie.
C’est le mot-clé, l’envie.
Comment ranimer l’envie chez les autres ?
Comment ne pas la laisser s’éteindre chez soi-même ?

Alors que je rentre à l’Assemblée, cette question, de l’envie, me taraude avec une acuité renouvelée. Vous savez, ces syndicalistes qui s’enfournent des réunions de comité d’entreprise, d’union départementale, de fédération, à longueur de semaine, à n’en plus finir, avec la bénédiction du patron, et qui du coup perdent leur lien avec l’atelier, qui se perdent doucement dans les limbes bureaucratiques, en qui se ramollit la combativité, eh bien il faut se méfier : qu’à mon tour, il ne m’arrive pas la même chose. Des fois, à Paris, dans l’hémicycle, dans les discussions, je crains de tourner à la plante en pot, sans eau sans air sans sels minéraux...
Or, plus que jamais, il nous faut imaginer.
Ne pas se laisser enfermer, par le pouvoir, dans ses lieux, dans ses codes, dans son calendrier.
Il nous faut créer, nous, Fakir, un usage original de mon mandat, entre local et national, entre reporter et porte-voix, et vous, avec votre rôle ambigu, à la fois lecteurs et pas mal militants.
Comme nous ne sommes pas les plus forts, nous devons être les plus malins, et surprendre, surprendre toujours, surprendre l’adversaire, et encore davantage surprendre notre peuple, nous surprendre nous-mêmes. Sans cesse inventer, que renaisse dans les cœurs l’espérance d’une gauche généreuse, combative et populaire.
Vaste programme, avec deux de tension !

La lutte est une respiration.
La retraite avant l’assaut.
La stratégie avant l’action.
Tout ça pour dire que je n’ai pas fait ma cure et cet empaffé de Macron nous convoque une session extraordinaire, nous pourrit l’été avec des mesures tous azimuts, nous fourre ça avec loi travail et état d’urgence. Et par-dessus, sans pitié, les camarades qui reviennent à la charge : faut sortir un numéro de Fakir.
J’ai repoussé l’échéance.
Je culpabilisais, même si Johanna me disait qu’il ne fallait pas, que j’avais bien mérité de la Patrie.
Je renonçais, donc : on vous enverrait juste un quatre pages, et la promesse d’un vrai canard à la rentrée.
Mais Sylvain, Baptiste, Vincent, se sont accrochés.
Ils abusent de ma lassitude.
Ils profitent de ma faiblesse.
Aussi, l’heure est solennelle : je vous l’annonce, moi qui, en dix-huit ans, ai surveillé chaque page, chaque colonne, chaque ligne de ce journal, moi qui en ai chassé le moindre point-virgule (interdit par les mannes cavannesques), moi qui ai modifié tous les chapos légendes exergues, eh bien : en bas de cette page, j’abandonne tout pouvoir.
Je décline toute responsabilité.
Je les laisse se démerder.
Je n’y jetterai pas un œil avant l’envoi à l’imprimeur sinon, je me connais, je vais tout bouleverser, les textes, les illustrations, la maquette.
Mais qu’ils en soient avertis : leur putsch ne durera qu’une saison.
Et c’est en pleine forme de dictateur - rédacteur que je reviendrai, j’espère, à la rentrée ! Avec, d’ores et déjà, un vrai dossier sur Sanofi (presque ficelé, déjà, par Cyril).

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