Yacine 1 - Mektoub 0 [1/2]

par François Ruffin 16/10/2015 paru dans le Fakir n°(67) septembre - octobre 2014

On a besoin de vous

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« J’aurais débarqué chez un patron avec un flingue. Au moins, je serais allé en prison pour le travail, pas pour la drogue. » Quand Kamel a entendu ça, il a compris qu’il allait le laisser à Yacine, son boulot de camionneur…

« Salut Kamel, la forme ?
- Ouais ouais… »
Je sens que ça va bof.
Kamel, c’est le gars de Gardanne (Bouches-du-Rhône) passé de Ronaldo à Chomsky, des Grandes Gueules de RMC à Là-bas si j’y suis, de je-vais-faire-taxi-pour-ramasser-du-pognon à debout-les-damnés-de-la-terre (voir Fakir n°62). On reste en contact par téléphone, comme ça, d’un bout à l’autre de la France, et y a de la variété dans ses SMS : il m’envoie tantôt des blagounettes, tantôt des réactions au dernier article de Sapir.
« Y a un truc qui cloche ?
- J’ai perdu mon boulot. Lundi y a trois semaines, j’arrive au dépôt à 8 heures, c’était mon retour de congé paternité. Y avait un tout jeune type qui m’attendait sur le parking : “Bonjour. Tu dois me former. - Ah bon. - Ouais, ils ont prévu que je prenne ta place et toi tu vas aller ailleurs.” Ça m’a mis les nerfs. Je me suis arrangé ma vie, moi, je dépose mes gamins à l’école le matin, je les reprends à la sortie, je suis des cours de droit, le soir, à la fac, et eux ils vont me balancer à cinquante, cent, deux cents bornes ? Et sans en causer avec moi d’abord, bordel ! “Tu t’appelles comment ? – Yacine. – Monte. Mais faut que je m’arrête au bistro, là, je suis trop énervé.” On a stoppé au Select, tu vois où ?
- Ton QG.
- Voilà. Je l’ai regardé, Yacine, je me suis revu, moi, à vingt ans, la galère, heureusement j’avais un père conseiller municipal à Givors, il m’a fait embaucher comme emploi-jeune. Mais lui, c’est un mec des quartiers nord de Marseille, il a pas de papa à la mairie, quand il te parle d’un “CDI” tu croirais que ça existe qu’au paradis. Il serait prêt à tuer pour du taf : “J’aurais débarqué chez un patron avec un flingue. Au moins, je serais allé en prison pour le travail, pas pour la drogue.” Là, j’ai compris que j’allais lui laisser ma place. Un autre mec, je me bagarrais, je gardais les clés et le camion.
L’après-midi, il a vu mes mômes, on les a pris dans la cabine : “C’est pas possible, mon frère, il m’a dit, je peux pas te voler ton travail. T’es père de famille. - T’inquiète pas. J’ai fait ma vie”, je lui ai dit. Moi j’ai le permis poids lourd, le super-lourd, la grue, dix ans d’expérience, je trouverai ailleurs. Lui, c’est un mort de faim…
En rentrant de la tournée, ça l’a étonnée, Isabelle : “Comment ? Tu vas renoncer à te battre ?” Je lui ai parlé de Yacine, elle a compris. Nous, on a trois enfants, un appartement dans le social, des gens à qui emprunter de l’argent. Lui, le pauvre, il a rien, meskin.
- Ils t’ont muté où finalement ?
- Nulle part. A la fin de la semaine ils m’ont viré sans préavis.
- C’est pas légal.
- Ils s’en foutent, ils sont en redressement judiciaire. C’est un administrateur maintenant qui gère la boîte, et j’arrive même pas à obtenir mes pièces pour toucher les Assedic…
- Oh la merde.
- Ça ira. Pour les vacances, la mer est pas loin, et à Gardanne on a tout gratuit, la piscine, le centre… Dis, tu voudrais pas passer, cet été, pour rencontrer Yacine ?
- Pourquoi pas. Mais tu connais ma condition…
- Quoi ?
- Que t’organises un match de foot.
- D’accord. Et y a d’autres gars qu’il faudrait que tu voies : les syndicalistes de la centrale thermique, et aussi...
- Dis donc, tu vas pas encore me faire courir dans toute la ville avec deux cents intervious dans la journée ? »

Yacine : [*« Tu ouvres le sac : une kalach »*]

« Je peux garer le camion là-bas ? Ils vont pas me coller une amende ? »
Sacoche en bandoulière, Yacine est tout en nerfs, le corps sec, la mâchoire crispée, tendu dès le premier café.
« Non, je le rassure, pas à cette heure-ci, je crois. »
Il s’assied.
« D’habitude, au dépôt, ils me mettent les bons de livraison, mais là y avait rien. Pendant les vacances, il reste qu’un intérimaire, il est débordé, il connaît pas le taf, et je sais pas, on va peut-être devoir monter à Avignon. Faudrait pas rentrer trop tard parce que ce soir j’ai un deuxième boulot, je livre des pizzas.
- Ce soir, j’ai un match de foot. »
On sirote notre café avec i-télé, derrière, qui annonce un énième meurtre à Marseille, ou une arrestation il me semble, et du coup, de bon matin, de fil en aiguille, de vengeance en assassinat, la conversation dérive direct sur l’arsenal des quartiers : « Les kalachnikovs, c’est pas seulement qu’ils en ont : là où les flics hallucinent, c’est qu’ils savent s’en servir. Dans une bagnole, par exemple, à un feu rouge, une moto a tiré côté conducteur et une autre côté passager, pour bien allumer le mec. Eh bien la femme à côté de lui, elle a rien reçu. Si : elle a été blessée au bras par des éclats de verre, mais pas touchée par une balle. Alors qu’une kalach, y a du recul, ça bouge. »
Il cause de ça posément, comme d’une banalité. Avec moins d’excitation que du match nul, 3-3, de l’OM à Bastia ce samedi.
« À 16 ans, je posais avec une kalach, un fusil à pompe, un calibre. T’es jeune, tu prends des photos avec, t’es content. C’est dingue, non ?
- Et tu te rendais compte que c’était dingue ?
- Non, pas du tout. Je considérais ça comme normal. Tu transportes des trucs d’un point A à un point B. Un grand me disait “Monte ça chez moi”, tu ouvres le sac : une kalach. »
Ça ne le fascine pas du tout, Yacine, les voyous. À des moues, à des plis de ses lèvres, à sa réserve, je devine qu’il en parle avec dégoût.
« J’avais mis une photo, sur mon Facebook : on était cinq copains d’enfance, dessus, sur les cinq il y en a trois en prison. Un qui a pris dix ans, un autre sept, et un qui vient de sortir, en avril. Le quatrième, il est dans ma situation, sauf qu’il n’a pas le permis, il vient de passer le code, il vit de peu. Moi, j’ai 22 ans, je suis Arabe, et mon casier est encore vierge. Je peux en être fier. »
La came, le banditisme, ça n’est pas son monde, à Yacine. Au contraire, c’est un monde qu’il refuse, mais c’est un monde qui le cerne, qui l’entoure, qui le menace. Et toute cette tension, en lui, qu’en un coup d’œil j’éprouve, c’est sa volonté, toute son énergie rassemblée pour échapper à ce monde, pour vaincre la fatalité. On va assister à ça, aujourd’hui, à la plus belle des batailles peut-être : au combat d’un homme contre son destin, contre son destin social.
« Ça me trottait dans la tête. Parce qu’à la vérité, dans le quartier, y a que ça, la drogue. 50 € la demi-journée, juste pour guetter. Des petits, ils se privent de rien. Ça met la haine. Je sais très bien que j’aurais terminé comme ça. »

Nicolas et Nadir : [*« La CGT ? Je savais même pas ce que c’était… »*]

« Aouh… aouh… gémit Kamel.
- C’est là que t’as mal ? demande Nordine, le serveur. Je peux toucher…
- Aïe, aïe, non, arrête…
- Donc c’est bien là ? rigole Nordine.
- Ouch ouch ouch ! Mais arrête ! A la place, tu pourrais me mettre un grand seau avec de la glace dedans ?
- Il t’est arrivé quoi ?
- On a fait un petit foot, et je me suis pris pour Ronaldo ! Ça faisait dix ans que je n’avais pas joué… »
Au Select, encore, Kamel a la cheville en compote, et il se plaint comme s’il venait de subir une double amputation sans anesthésiant. Nicolas et Nadir, les délégués CGT de la centrale thermique, entourent l’infirme - qui trempe sa papatte dans un grand bac.
« Je voulais pas rentrer à la centrale, se souvient Nadir, vraiment pas, surtout pas, et avec le recul je me demande comment j’aurais pu rater ça. J’avais pas envie d’avoir la gueule pleine de charbon huit heures par jour, revenir à la maison tout noir… Mais je suis d’une génération où le papa décide, et il m’a dit : “T’as le mois d’août pour trouver du boulot, ou alors t’iras à la centrale.” Comme j’ai rien trouvé, j’ai pas dû trop chercher non plus, bon, tant pis, j’ai pensé, je vais faire mes deux ans en alternance, mon père va me lâcher, et j’aurai un peu d’argent de poche pour bringuer le week-end.
- La solidarité, la classe, t’y songeais à l’époque ?
- Pffff… La CGT, je savais même pas ce que c’était. J’étais comme un jeune de vingt ans, quoi. J’avais les mains trouées, le fric me filait entre les doigts, tellement que je prenais des roustes par mon père : la famille me logeait, me nourrissait, j’étais payé par l’entreprise, mais j’arrivais à faire des dettes ! Quand on sortait en boîte, c’était toujours : “Laissez, la bouteille elle est pour moi.” »
Il sort fumer une clope.
Nicolas prend la relève : « On a été tout un groupe de copains à rentrer comme ça, en 1999. Moi, c’est mon parrain qui travaillait dedans, et comme j’étais en BTS électrotechnique, comme il y avait une poignée d’embauches à l’époque, je me suis dit : “Si j’arrive à mettre un pied dedans, ma carrière elle est faite.” Le mot de “solidarité”, il est venu après, quand on les a vus se bagarrer pour nous. »

Yacine : [*« Tu te renfermes. Tu parles à personne »*]

Son zinzin n’a rien d’impressionnant : un Kiloutou de base avec, dans la remorque derrière, des planches, un sac de ciment, des petits machins pour le bâtiment.
« Comme je livre sur des chantiers, je mets le maillot du Portugal. Ils sont trop contents, les Portugais, ils me déchargent vite. Je les connais mes clients, maintenant.
- Tu faisais quoi, avant camionneur ?
- Je travaillais dans le monde de la nuit, avec mon frère, qui a une chicha. Mais y a pas d’avenir, là-dedans, c’est juste le présent. T’es au summum, et le lendemain, tu peux couler à tout moment. C’est un monde bâtards, ils te tournent autour pour une bouteille, même pas : pour un verre. Je les appelle “les gratteurs de verres”. Un mec il m’appelle, jamais de ma vie il m’a appelé, “t’as la voiture maintenant ?” Tu vois, que par intérêt. Les crasseux…
- Les quoi ?
- Les crasseux…
- C’est qui ?
- Ceux qui vont te coller pour entrer gratuit dans une boîte… Ça m’amusait au début, ils te flattent. Et la nuit m’attirait. Mais pour faire ton chemin là-dedans, soit tu organises des super-soirées, et je suis pas fait pour ça, soit tu vends de la drogue, et tu termines mort ou en prison. Moi je voulais un truc normal, où je serais pas traqué à vie, que ma mère se fasse pas de souci.
« En fait, j’ai deux grands frères et c’est le jour et la nuit… c’est le cas de le dire ! Nordine, qui tient la chicha, enfin qui tenait, il est en train de fermer mais il veut rouvrir, et l’autre, Nasser, qui a son permis super-lourd, et qui me le disait, que ça me mènerait à rien, mais je m’en foutais. J’ai oscillé entre les deux.
- Et quand t’as basculé, alors ?
- L’an dernier. Je suis retourné à la Mission locale, et comme je connais un mec, comme j’avais fait une terminale routier, ils m’ont payé le permis. Après, j’ai cherché, je passais tous les jours dans les agences d’intérim, je relançais tout le temps…
- Et t’as décroché des missions ?
- Rien, ou presque. Un jour en déménagement, deux jours de manœuvre, une semaine dans une déchetterie. Et encore, parce que mon frère Nasser m’a pistonné. J’étais à bout, dégoûté. En plus, j’ai eu un choc : mon collègue Franck s’est fait tuer, à trente ans, le 31 décembre 2013. On l’a enterré le 4 janvier. Depuis, tous les jours j’y pense.
« Je me suis dit, bon, pour avoir plus de chance, je vais me payer le Caces grue, de ma poche, 300 € pour trois jours… Mais ça m’avançait à rien : les intérims voulaient toujours pas de moi. »
Il ajuste son rétro.
« J’avais pas le moral. Tu parles à personne, tu te renfermes. »
Entre les rocades et l’autoroute, au milieu des bulldozers et derrière un magasin « Nature et découverte », le camion se pose au bord d’une grande fosse.
« Tu vivais avec quoi ? je l’interroge, avant de descendre. T’as pas droit au RSA, toi ?
- Non, j’avais plus de sous. Je me débrouillais avec un petit biz, les points sur le permis.
- C’est quoi ?
- Quand t’as plus de points pour conduire, je peux t’avoir des permis belges, suisses, italiens, hongrois, comoriens, algériens, turcs… Je vendais ça.
- Et ça rapporte ?
- Ça dépend. Des mois rien, des mois cent, deux cents, trois cents euros… »

Nicolas et Nadir : [*« La solidarité, tu l’as sous les yeux. »*]

« Tous les matins, le délégué, Jean-Louis Alcantara, il nous apportait le café, soit il avait des infos, soit c’était juste comme ça, “Coucou ça va ?”. C’était un des anciens, un mineur, qui avait mené toute la bataille contre la fermeture, et pendant trois ans, tous les jours, il nous a fait la leçon. Enfin, il donnait pas un cours, mais on causait de tout et de rien, de ballon, de cul, de l’actualité, et y a toujours un moment, il faisait le lien avec la politique. On bouffait ensemble le vendredi, aussi, des sandwiches pain-pâté. »
Les deux compères alternent les tours de parole et les pauses cancers, dehors, debout à l’entrée.
« Y a des fois, moi, je plaisantais sur la CGT, le Parti, le respect de l’organisation… Mais ils me reprenaient, ils discutaient, ils me sortaient les statuts de la CGT, on les lisait ensemble, comme quoi, par exemple, c’est le seul syndicat où le racisme est un motif d’exclusion.
- Et le racisme, en ce moment, ça donne quoi ?
- Y a des mecs, chez nous, un surtout, on l’a entendu tenir des propos sur les “bougnouls-y-en-a-trop”, on l’a prévenu qu’on allait lui pourrir sa vie, qu’on allait faire de lui un paria, et on l’a mis au pilori, on a déchiré sa carte, on a fait passer le message, comme quoi ce type-là était un facho… Ça veut pas dire qu’on gagne sur les convictions, juste sur les paroles. »
Nicolas se rassied, et prend le relais :
« Surtout, on les a vus pas seulement dans les tracts, mais à l’épreuve des actes. Parce que les soucis ont commencé. En 2002, c’est eux qui nous ont appris la mauvaise nouvelle : “Les gars, même si vous obtenez votre diplôme, vous serez tous virés.” Mais la CGT a fait monter la tension, elle a provoqué une grève, et tous, tous les salariés ont arrêté le boulot, tous ont perdu une partie de leur salaire, tous sauf nous. Parce que les délégués ne voulaient pas qu’on s’embrouille avec la direction. Finalement, au 1er janvier 2003, tout notre groupe a été embauché, 35 d’un coup. La solidarité, là, tu l’as sous les yeux, c’est plus seulement un joli mot. »
Au tour de Nadir :
« Aussitôt en CDI, la période d’essai passée, j’ai pris ma carte. Ça a commencé à vraiment me plaire. Le samedi soir, ma femme me demandait : “Tu vas où ? – Manger un bout à la centrale. – Tu veux pas faire un restau, plutôt ?” On s’est imprégnés de la culture des mineurs et eux, à la place de se méfier, ils nous ont acceptés, ils nous ont dit : “Oh, faut y aller”. En novembre 2003, donc très très vite,
les anciens nous ont passé la main. Ils sont partis et ils nous ont laissé les clés du syndicat. C’était pas évident : fallait piocher dans les jeunes, dans notre bande de potes, avec qui on jouait au foot. »

Yacine : [*« Putain ! Il veut m’arnaquer ! »*]

« T’avais pas le moral, tu disais.
- Grave. J’étais complètement niqué. Je suis rentré à la mairie du XVIème, comme si j’avais rendez-vous, je me suis infiltré, je voulais voir Samia Ghali. J’étais à cran, j’en serais arrivé à la violence : “Ouais, t’inquiète, ils me disaient là-dedans, on s’occupe de ton dossier.” Mais y a rien qui venait. Ce que je voulais, c’est bosser à la ville. Mais pour une place, il faut du piston, ou alors y en a qui lâchent 3000 € pour un CDI. Tu paies, mais tu les amortis : après, c’est à vie. T’es bien. J’en rêvais. Moi, c’était au jour le jour, soit je mets 10 € de gasoil pour chercher du travail, soit je mange. J’avais un découvert, en plus. Je me noyais. Et la solution à mes ennuis, elle était à ma porte, en bas de chez moi, je voyais les collègues qui trafiquaient. Je résistais… »
Il s’interrompt.
« Mais putain, je cause, mais là je vais où ? Vers Aix-centre, je me trompe de direction. »
Au feu rouge, Yacine entame une manœuvre en marche arrière.
On entend un lent craaaac.
« Oh merde, y avait une bagnole, je l’ai pas vue dans mon rétro. »
On se gare à la station-service à côté.
L’autre conducteur descend, genre étudiant en master, pas rasé, un peu beaucoup de cheveux sur le crâne, dans une 206 bien lustrée. Le sang lui monte au visage, tout rouge, parce qu’il a eu peur du choc je me dis, ou parce qu’il se prépare au conflit avec un gars des quartiers.
Sur sa voiture, y a plus de bruit que de mal : seul le pare-choc a morflé, et encore, une éraflure qu’il faut s’approcher pour l’apercevoir. La plaque d’immatriculation aussi, dans le coin, a une égratignure.
« Écoute, propose Yacine, je vais au distributeur, je te file cent euros et c’est terminé.
- Non non non, on va faire ça dans les règles, refuse l’autre – qui sort le constat sur le capot.
- Mais on va perdre une heure à remplir ces papiers pour une griffure !
- On fait ça dans les règles. Je vais voir mon garagiste, j’ai des copains garagiste, et si tout roule, on le déchire chacun de notre côté. »
Yacine a les boules pour son boulot, et l’autre à mon avis a les boules de Yacine, donc je m’en mêle. « Tu t’appelles comment ?
- Guillaume.
- Écoute, Guillaume, y a rien tu vois bien et…
- Quand on est trop gentil, il se braque, on se fait avoir. Et moi j’en ai marre d’être trop gentil.
- Nan mais je comprends, ça t’a surpris, t’as eu peur mais…
- Imagine si y a un truc de cassé, à l’intérieur, mon radar de marche arrière ou un autre machin, on sait pas avec l’électronique…
- Ça a juste touché ton pare-chocs, tu vois bien », etc. etc.
Les palabres se poursuivent, tandis que Yacine prend des photos de la « légère fissure » - comme le stipule le constat.
On remonte dans la cabine.
« Putain il veut m’arnaquer !, moi !, s’énerve Yacine. Son radar de marche arrière est en panne, et il veut le mettre sur mon compte ! »
Je le modère :
« Nan mais à mon avis, là, t’interprètes. Il a eu peur, à la fois de l’accident et de toi, du coup il la joue réglo réglo.
- Faut pas me prendre pour un con. Je ferais pareil à sa place. Vu que la boîte est en train de couler, si quelqu’un a besoin de réparer sa voiture, je prépare le camion, je lui rentre dedans, on fait marcher l’assurance, il se fait tout rembourser et moi il me laisse un peu de fric.
- T’avais déjà réfléchi à ça ?
- Ouais. Vu que, de toute façon, on est en redressement. (Il consulte son portable.) Ils m’ont toujours pas payé mon mois de juillet, d’ailleurs !
- Tu vois, tu regardes les autres à travers les lunettes de ton quartier : tout le monde arnaque tout le monde, c’est la jungle, le règne de la combine. Y a plus de confiance.
- Quelle confiance ? En qui ? Mais si t’es gentil, mon frère, t’es mort. Faut jamais être gentil… »
Il est super-gentil avec moi, pourtant, Yacine, il me traîne derrière lui toute la journée comme un boulet, il supporte toutes mes intrusives questions, même il y répond, mais c’est la fausse vie, nous, aujourd’hui, c’est un moment volé à la loi de son monde – qui est peut-être, en effet, la loi du monde : si t’as bon fond, mieux vaut le cacher. Il a plus que bon fond, mais combien il doit s’endurcir pour tenir ?
« J’espère qu’il va me rappeler tout à l’heure, ce bouffon de Guillaume. On déchire nos constats et fini. »

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