Vivre à crédit

par L’équipe de Fakir 01/04/2006 paru dans le Fakir n°(27) Mars-Avril 2006

On a besoin de vous

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Les journalistes, grégaires, louaient en 2003 une nouvelle mesure : « Surendettés : Borloo veut effacer l’ardoise » (Libération, 3/03/03). Encore une fois, les médias préféraient les mots aux choses, et les discours des décideurs éclipsaient la réalité sociale. Car trois années plus tard, les micros se sont éloignés, le sujet est sorti de l’« actualité » (c’est-à-dire de l’agenda des politiques), mais qu’a donc changé cette loi ?

Pas grand chose, à en croire Nathalie Nolen, directrice de l’association Cyprès à Amiens. Et ça n’a pas empêché Jacqueline de tomber dans les crédits dette la première...

« Jacqueline ! Y a quelqu’un pour vous. » Dans la cuisine de Monsieur Rouay, son « patron », elle range les verres, les couverts. « Je vous laisse à deux, que vous expliquiez vos ennuis... »

C’est que Jacqueline collectionne les crédits : dans son portefeuille, une carte « Accor », deux « Cofidis », une « Open », une « Finaref », une « Carrefour »... Liste non exhaustive, elle-même ne se souvient plus de tout : « Monsieur Rouay, qu’est-ce que j’ai comme découvert à part Leroy Merlin ? »

« Comme tout le monde »

L’engrenage a démarré l’air de rien, pourtant, bien gentiment : un couple qui emménage à Ailly, des bosseurs tous les deux, lui ouvrier dans une usine de pots d’échappement et elle femme de chambre, nounou, serveuse, dans un hôtel parisien, du lundi au samedi, « j’avais mon dimanche ». Ils achètent un petit pavillon, empruntent pour le bricolage et le lave-linge. Arrivent les enfants, un, puis deux, puis trois, son boulot qu’elle arrête, et malgré ce revenu en moins, surtout « leur faire plaisir », qu« ils s’oyent comme tout le monde ».

Comme tout le monde à la télévision. Comme tout le monde dans la famille Ricoré, dans les publicités, avec l’ordinateur, et Internet, et les vacances au ski, et les habits de marque pour la récré. Comme tout le monde, elle qui fait des ménages, sa mère qui faisait des ménages, lui toujours à la chaîne, grenouille prolétaire qui veut ressembler à ces boeufs bourgeois. D’autant que pour gonfler il suffit d’un 0 810...

« Ça paraissait facile. A la télé, c’était bien présenté... On vous dit que sur un simple coup de fil, on vous donne 10 000 F. On appelait le numéro de téléphone qu’on voyait à la télé, et aussitôt... »

Consommez !

Y a bien eu des alertes, « Quand on voulait rembourser Carrefour, on prenait un Cofidis ». Ou encore : « Aux 3 Suisses, on prenait des crédits, c’était que 5 euros par mois. Maintenant, on est interdits chez eux ». Et toutes les sociétés prélevaient sur leur compte du Crédit agricole. C’est de là, d’ailleurs, qu’est venu le coup fatal.

En juin 2004, pour descendre sur la côte (d’azur, pas picarde), « il faut la clim dans la voiture ». Il faut. Après un été 2003 caniculaire, la climatisation, c’est la dernière mode « à la télé » : on ne peut plus s’en passer. Pour un prêt, Jacqueline et Michel se dirigent alors vers leur agence.

Leur conseiller le voit bien, alors, sur les relevés bancaires, que Sofinco leur retient 350 euros par mois, Accor 120 euros, plus 202 euros de divers, etc., près de 1 000 euros. Leur conseiller le sait clairement, aussi, qu’ils touchent déjà le fond, que leur découvert est entamé. Alors, leur conseiller les dissuade-t-il de s’acheter cette 406 neuve ? Au contraire, allez-y consommez consommez ! Et il leur refourgue une assurance auto dans la foulée (30 euros le mois), une autre pour la maison (déjà protégée, pourtant : 20 euros), une pour les accidents des enfants (20 euros), en cas de décès, de perte de salaire, plus « la retraite Carré Vert » (60 euros, 30 euros pour Monsieur, 30 euros pour Madame).

« On a dit oui à tout, sur un coup de tête. D’autant qu’on avait vu, vous savez, la pub du Carré Vert à la télé. Ca paraissait un super placement, alors j’ai signé jusqu’en 2010. »

« Embobinés »

Au retour des congés, la note se révèle bien salée : 200 euros de versé rien qu’à la banque verte, plus les autres.

« Je me suis aperçue qu’on s’était fait embobiner. Donc j’ai voulu tout arrêter, mais le Crédit agricole a refusé, "on ne pouvait pas, il racontait, parce que les contrats étaient en cours". Ils allaient nous supprimer notre découvert autorisé, aussi, nous mettre en interdit bancaire, plus les agios. Là, j’ai paniqué et ils m’ont proposé Open, c’est un crédit qui rachète tous les crédits. »

Mais le grand nettoyage des dettes ne se produit pas, pas exactement, comme prévu. A la place, c’est un papier bleu qui est glissé sous la porte et l’huissière, « la plus pire », qui déboule : « Elle nous a dit que si on ne remboursait pas, 500 euros par mois, elle nous laissait juste les lits et puis c’est tout. Elle embarquait les meubles, la voiture, donc plus de travail, et là, ça a fait boum boum dans mon coeur... On voulait ne plus rien devoir à personne, et la seule solution c’était de vendre la maison. On était prêts, mais Monsieur Rouay nous a raisonnés. »

Le « patron » renégocie les créances, à hauteur de 260 euros par mois, et les envoie vers une assistante sociale : « D’après elle, il faudrait faire un dossier de surendettement. Mais mon mari, il refuse, il a peur que ça se sache à l’usine... Je lui ai claqué la porte au nez, tout à l’heure : "Si ça continue je le signerai tout seul". » En attendant, « on ne mange pas de la viande tous les jours » et « "Maman elle n’a plus de sous" je répète aux enfants. »

Un Sauveur, heureusement, un Zorro apparaît à l’horizon : « Faudrait qu’on passe, vous savez, l’émission du samedi soir, mais si, vous savez... (Elle regarde dans TV Magazine) Julien Courbet. Lui je l’aime bien, lui il s’occupe des gens comme nous. »

(article publié dans Fakir N°27, mars 2006)

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Messages

  • Si le prolétariat n’avait pas cette irrépressible attirance pour les choses chères et infâmes, bref s’il était mieux éduqué, il ne dilapiderait pas autant d’argent pour des inepties.

    La vulgarité du mode de vie, le mauvais goût, la bêtise matérialiste, ça se paye au prix fort !

    Je trouve honteux de faire payer à la société le coût exorbitant de l’irresponsabilité des gens surendettés.

    Quand on fait le choix d’habiter dans une maison Phénix aussi laide que chère et de posséder la même voiture que son patron, on assume jusqu’au bout le prix de sa vanité.

    Raphaël Zacharie de IZARRA