Un mois de vacances en plus…

par François Ruffin 14/04/2017 paru dans le Fakir n°(49 ) février - mars 2011

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En 2012 Fakir réclamait un mois de congé en plus. Cette réclamation n’ayant pas été entendue, on la ressort… Sait-on jamais un candidat pourrait passer par là...

Les 35 heures ? La gauche les défend. Mais sans proposer d’aller plus loin. Ici et maintenant, Fakir réclame 3 semaines et ½ de congés en plus. Pour en revenir, simplement, à la situation qui prévalait sous Valéry Giscard d’Estaing…

[*[*[*[*[*1929…*]*]*]*]*]

Cinq jours par semaine et six heures par jour : le 21 décembre 1932, le sénateur de l’Alabama Hugo Black dépose, au Congrès, un projet de loi pour « la semaine de trente heures ». Avec le bâton : si les entreprises ne respectent pas ces règles, leurs marchandises ne pourront pas «  transiter d’un État à l’autre ». Et il n’a rien d’un hurluberlu isolé : au Sénat, les élus votent pour sa proposition par 55 voix contre 30. L’AFL, le principal syndicat américain, le soutient de tout son poids. Et le nouveau président, Franklin D. Roosevelt, l’appuie également… avant de se rétracter, sur le fil, face aux pressions de Wall Street, qui dénonce une « dictature étatique ».
De l’autre côté de l’Atlantique, cette réduction est aussi à l’ordre du jour : dans le cahier de revendications que, en novembre 1933, les « Marcheurs de la faim » remettent aux députés français, « la journée de 7 heures payée 8 et la semaine de 40 h » figure en bonne place. Voilà qui deviendra réalité, trois ans plus tard, grâce aux grèves du printemps 1936. Et ce n’est qu’une étape : John Maynard Keynes prédit alors que « vers la fin de ce siècle, nous travaillerons trente heures par semaine, sinon moins. »

[*…1993…*]

La fin du siècle, justement, et à nouveau la crise. En 1993, le seuil des trois millions de chômeurs est franchi – et le président François Mitterrand s’avoue résigné : « Contre le chômage, on a tout essayé.  » Tout ? Pas vraiment. La durée légale du travail n’a pas bougé, scotchée à 39 heures depuis 1981. Nombre de dirigeants plaident alors pour un nouvel abaissement.
Côté syndicats, c’est l’unanimité : « En l ‘an 2000, les 30 heures », prône Marc Blondel pour Force Ouvrière. Les cadres de la CGT inscrivent « la semaine de quatre jours » à leur programme, idem pour la CFDT, la CFTC, et « sans réduction de salaire. » Dans la gauche très modérée, on approuve : « La semaine de 4 jours est un objectif urgent et responsable, estime Michel Rocard. Dans la boîte à outil antichômage, il n’y a pas d’instrument plus puissant. » Même à droite, Alain Juppé, alors Premier ministre, s’engage à « diminuer et mieux organiser le temps de travail. » L’idée gagne du terrain, jusqu’à une fraction plus progressiste du patronat : « Pour lutter contre le chômage, il faut réduire significativement la durée du travail, milite Antoine Riboud, PDG de Danone. Car, si vous la réduisez de quelques heures, la productivité absorbera la diminution des horaires. Il faut avoir la volonté de descendre à 32 heures, soit quatre jours par semaines. »
Ce courant de pensée ouvre la voie aux 35 heures – que bricolera Martine Aubry.

[*2010, maintenant.*]

Autre crise, et quelle crise ! Le cap des quatre millions de chômeurs est désormais franchi. Mais voilà que, à l’inverse de 1929, de 1993, de 1981 aussi, on ne songe pas à «  réduire le temps de travail », mais à l’augmenter. Voilà qu’on l’augmente de fait, par tous les bouts : les heures supplémentaires encouragées (et défiscalisées), les deux années de plus avant la retraite, l’ouverture des magasins le dimanche – seuls les congés payés, pour l’instant, ne sont pas rognés. Voilà que, enfin, la gauche défend certes les 35 heures, que le camarade Gérard Filoche, par exemple, publie une tribune « contre l’ignorance de Manuel Valls et de quelques autres » – mais sans plus proposer, ni lui ni Benoît Hamon, ni d’autres, qu’on aille encore de l’avant : vers les 32 heures, la semaine de quatre jours, ou moins encore. Et les syndicats, eux non plus, ne le revendiquent guère.

[*117 heures à récupérer*]

Pourquoi, aujourd’hui, ce silence ? N’y aurait-il plus de « grain à moudre » ? «  Les entreprises du CAC 40 devraient verser quelque 40 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires en 2011 au titre de l’exercice 2010, soit un montant record », nous signalait, début janvier, le quotidien Les Échos. Ça n’a rien à voir ? On mélange tout ? L’éternel refrain des « profits pour quelques-uns » ? Certes. Mais si on se répète, c’est que l’histoire se répète : en 1980, les revenus distribués en dividendes représentaient 4,2% de la masse salariale, contre 12,9 % en 2008. Un triplement, d’après les chercheurs de l’IRES. Plus concrètement : les salariés travaillaient 72 heures par an pour les actionnaires en 1980. En 2008, c’est 189 heures. 117 heures sont ainsi à récupérer. Trois semaines et demie de congés en plus par an.
Ce serait le minimum à exiger : rien d’une révolution, non, juste un retour à la situation qui prévalait sous le – pas franchement léniniste – président Giscard d’Estaing…
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[*Comme des hamsters*]

Pourquoi ce silence, alors ?
Parce que le Parti socialiste, à coup sûr, n’aspire pas à se bagarrer de front contre le patronat. Parce que, également, les 35 heures n’ont pas laissé que des bons souvenirs aux salariés – avec un gel des salaires, une flexibilité accrue, un travail intensifié : cette bataille ne serait pas immédiatement populaire. Parce que, enfin, – et c’est pour nous la raison majeure, une raison objective, matérielle –, depuis 1993, la mondialisation est entrée dans les faits et dans les têtes.
L’Europe s’est élargie aux pays de l’Est, a ouvert ses marchés aux « pays émergents », dans une concurrence libre et totalement faussée. Toute mesure positive – sociale, fiscale, ou même environnementale – se traduit, dès lors, par une « perte de compétitivité », par la crainte de voir fuir les usines et les richesses. Cette inquiétude tétanise les esprits, rabat les espérances, tue les imaginaires.
Nous sommes comme des hamsters, enfermés dans une cage, et condamnés à faire tourner notre roue plus vite plus longtemps pour moins chers, parce qu’à côté les Allemands, les Roumains, les Chinois, font tourner leur roue encore plus vite toujours plus longtemps pour nettement moins cher.

[*Ralentir un peu*]

Depuis l’ère industrielle, l’histoire sociale n’est faite que de ça, de ces batailles pour que les gains de productivité, les machines plus rapides, ne se transforment pas qu’en revenus pour le capital – mais aussi en heures de liberté, de joie, d’émancipation, loin de l’usine ou des bureaux. Et à chaque crise, le mouvement ouvrier a répondu par ce cri : « Partage du travail ! » Voilà que la gauche se coupe de cette tradition – à l’heure où, paradoxe, jamais cette réduction du temps de travail n’a autant relevé de l’urgence. Et de l’évidence : devant la chronique d’une catastrophe écologique annoncée, le « travailler plus pour produire plus pour consommer plus  » témoigne d’une idiotie manifeste, et néanmoins mondialement proférée – à remplacer au plus vite par le « Consommer moins, répartir mieux  ».

En un temps où l’espoir n’était pas atrophié, dans son film L’An 01, Gébé professait : « On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste. » À défaut de tout arrêter, au moins pourrions-nous ralentir un peu. Et réfléchir ensemble… pendant le mois de vacances que nous aurons conquis.


[(Et pourtant, elle baisse…
« Et pourtant, remarque l’économiste Pierre Concialdi, le temps de travail baisse malgré tout. Et je dirais même que le patronat est pour. Mais à sa façon. » Pas une diminution choisie, construite, partagée, donc, mais subie. Via les quatre millions de Français qui pointent à Pôle Emploi. Via les temps partiels, qui ont triplé depuis 1980 – passant de 6 à 18 % du salariat. Via les contrats précaires, qui ont quasiment doublé, eux, de 17 à 31 %. Des bouleversements que nous n’apercevons même plus, tant on s’y est habitués – et qui engendrent, non pas davantage de bonheur, mais bien souvent de souffrances.)]

Tous nos remerciements à Pierre Concialdi et Michel Husson, pour le temps qu’ils prennent à nous transmettre des documents. Et à nous les expliquer…

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