Où peut bien se cacher Bernard Thibault ? (1)

par François Ruffin 11/12/2009 paru dans le Fakir n°(42) octobre-novembre 2009

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La CGT vient de vivre un 49e congrès mouvementé : si Bernard Thibault a finalement été reconduit, l’opposition interne a joliment donné de la voix.
L’occasion, pour Fakir, de mettre en ligne une partie du dossier du numéro 42, consacré aux syndicats. Voici donc le premier épisode : on part à la recherche de Bernard Thibault. Raté : c’est pas dans les usines en lutte qu’on le trouve…

Goodyear, Amiens. « En deux ans et demi, jamais on a aperçu notre secrétaire »

– Quand Bernard Thibault vient, vous lui racontez quoi ?

– Mais il n’est jamais venu ! On ne l’a jamais vu, ici. Même pas un coup de téléphone. A part à la télé, sinon je ne connais pas le son de sa voix…

Avec Mickaël Wamen, le délégué CGT de Goodyear, on cause devant l’entrée de l’usine. En plein courant d’air. Dans sa cahute, le vigile "Securitas", tatoué aux avant-bras, ne nous laisse pas rentrer : « Le responsable du personnel vient de me prévenir : il faut que l’entretien se passe à l’extérieur. » Evelyne Becker, membre du Comité d’Entreprise, a beau ruser, « C’est un syndiqué », rien à faire – alors que « le directeur, sa femme rentre avec son chien et ils mangent ensemble à la cantine ».

– Ça fait un bail, pourtant, que vous bataillez ?

– Le conflit dure depuis deux ans et demi. On a tout fait, des grèves de cinq jours, des blocages de la zone industrielle, des manifs au siège de Goodyear à Nanterre, mais jamais on a aperçu notre secrétaire…

– Une fois, corrige Evelyne, on nous avait dit : ‘Bernard Thibault viendra’, mais au dernier moment personne. C’était sa place, pourtant. Du coup, Besancenot et Laguiller l’ont remplacé…

– Mais vous étiez hostile à sa venue ? Ou à celle de Maryse Dumas ?

– Ah non, non, on était prêts à les accueillir.

Je viens ici, aujourd’hui, parce que, la semaine dernière, la CGT de Goodyear a adressé une Lettre ouverte à Bernard Thibault, secrétaire général. Une missive vivement critique. Extraits :

face à « une catastrophe voulue et mise en place par un gouvernement et les patrons […], la réaction de la CGT est plus que timide : inexistante !!! », « Il va falloir quand même que vous réagissiez là-haut », « pour le moment ceux qui luttent se sentent bien seuls », « il va falloir que la confédération CGT bouge », etc.

Ce courrier, bien sûr, rencontrait nos interrogations : comment ça se fait qu’on est partis à deux, trois millions en janvier – et que ce soulèvement est retombé en juin ? Comment ils décident leurs « journées d’action », « là-haut » ? Est-ce qu’ils veulent lutter, vraiment, ou juste faire semblant ?
Sauf que ces questions émanaient, là, pas d’un intello chipoteur, pas d’un journaliste dissident, non : de « CGT fiers de l’être et nous voulons continuer à l’être ». Parce que Mickaël Wamen, c’est du concentré de CGT. Père ex-délégué CGT chez Dunlop. Frère délégué CGT ailleurs. Toujours un tee-shirt ou un badge CGT. Lui estime, d’ailleurs, qu’il y a « trop de syndicats en France, un ou deux dans la boîte, c’est assez ». Au moment des grèves, ou des élections, ça ne fait pas de cadeaux – avec des « Dupuis = Bâtard » inscrits sur la chaussée, hommage à la CFTC. Et il soupçonne SUD de « s’être créé, à Goodyear, plus pour nuire à la CGT qu’à la direction ». Jusqu’à l’intolérance, il incarne la CGT – et son ardeur ramène 85% de bulletins dans les urnes. « J’espère qu’ils vont comprendre, à Montreuil, qu’on ne fait pas ça pour démolir la CGT. Au contraire, c’est pour la sauver : il faut que la confédération remette les pieds sur terre. Qu’elle revienne à ses origines : nous, on mouille notre chemise pour une CGT qui écoute les travailleurs, qui lutte à leurs côtés. Demain, par exemple, on va à Berteaucourt, chez Parisot, filer un coup de main aux copains… » Je note le rendez-vous. Pour un plan « merguez ».

– Et il vous a répondu quoi, Bernard Thibault ?

– Rien. On n’a aucune réponse. Mais y a pas que chez nous : Continental, vous croyez qu’il y est allé ?

– Je ne sais pas.

– Eh bien, demandez à Xavier Mathieu. Et Caterpillar ?

– Je ne sais pas.

– Appelez-les, vous verrez. D’ailleurs, les seules réponses qu’on a reçues, c’est plein de petits syndicats, dans des boîtes, qui nous appellent, qui nous félicitent : Manpower France, des gens de chez Faurécia, Semperit à Argenteuil. Hier, y a des syndicalistes de Philips, à Dreux, qui sont passés. Tous, ils auraient signé notre courrier : c’est trop mou du genou, la confédération. Bientôt, la crise elle sera passée qu’on aura rien essayé, juste regardé passer les charrettes de licenciés. Mais bon, il paraît que Thibault est freiné par la smala qu’il a autour, les Le Duigou et compagnie. Cet enfoiré-là, je lui crache à la gueule : c’est un copié collé de Chérèque.

Je n’y peux rien, moi, si les gens sont parfois malpolis.
Et en colère.

Continental, Clairoix : « Prononcer notre nom, ça lui arracherait la gueule. »

J’appelle sur son portable Xavier Mathieu, de la CGT Continental.
C’est le gars qu’on a vu, sur France 2, après le saccage de la sous-préfecture de Compiègne, tenir tête en direct à David Pujadas. J’essaie d’être aussi bon que mon collègue David :

– Je voulais savoir, simplement, est-ce que Bernard Thibault est venu à Clairoix ?

– Non seulement il n’est jamais venu chez Conti, mais est-ce que vous l’avez entendu prononcé une seule fois ‘Continental’ ?

– Ben je sais pas.

– Moi si, je sais. Pas une fois. Il est invité partout, sur Canal+ et ailleurs, notre usine est rayée de la carte en un jour, et lui, pas une seule fois il ne prononce ‘Continental’. Ça lui arracherait la gueule. Bonjour la solidarité.

Derrière sa voix, j’entends ambiance de supermarché. Il me répond en continuant ses courses.

– De toute façon, c’est des mecs, ils ont goûté aux privilèges, ils sont plus bons à rien. J’ai 18 ans de CGT mais je suis écoeuré : quand FO demande une grève générale et que la CGT refuse, c’est le monde à l’envers !

– Est-ce que vous avez vu la lettre de la CGT Goodyear ?

– Ouais. Je signe des deux mains.

– Mais quand ils appellent à une grève générale, vous y croyez ? Je veux dire : vous, vous avez cherché à mobiliser autour de vous ?

– Ouais, mais ça ne prend pas. Dans les petites boîtes, ça ne marche pas. Et je vais ajouter, même : on a eu de la chance que les 1120 salariés soient licenciés d’un coup. Les patrons ont commis une erreur : ça a créé une unité. Sinon, on se serait divisés entre nous, chacun aurait espéré garder sa place. Tandis que là, même pour soutenir les copains au tribunal, on reste soudés. D’ailleurs, l’audience se déroule le 17 juillet. Vous êtes le bienvenu.
Je note. Pour un futur plan merguez.

Caterpillar, Grenoble « Même de loin, il nous soutient »

Au bout du fil, Nicolas Benoît se montre plus diplomatique.
A notre question, il rit. « Non, Bernard Thibault n’est pas venu. Je ne sais pas où il était ces jours-là, sans doute très occupé : c’est un homme comme tout le monde. Et puis, je pense qu’il nous soutient. Même de loin, il nous soutient. »
Y a une action de prévue aussi, là-bas.
Mais quand même : ça fait un trop long trajet pour une merguez…

Pourquoi cette absence ?
Pourquoi le secrétaire CGT (mais idem pour les autres) ne s’est pas rendu sur les trois conflits qui, ce printemps, ont marqué les esprits ?
Juste un hasard, une coïncidence, des difficultés d’agenda ? Ou, volontairement, pour se recentrer, pour effacer cette image d’un syndicat de luttes ?
Le plus simple, c’est de lui poser la question.
Au siège de la confédération, à Montreuil, le standard me passe à un secrétariat.
Qui me renvoie au service de presse.
Qui sonne dans le vide, jusqu’à un répondeur.
Je laisse un message : « Bon ben voilà, je travaille pour un journal, et à Amiens j’ai rencontré les Goodyear qui, etc. »

(article publié dans Fakir N°42, octobre 2009)

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