Mort d’Hector Loubota : procès en appel

par François Ruffin 23/11/2015

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Condamné pour « homicide involontaire », Gilles de Robien fait appel de ce jugement le lundi 30 novembre à 9 h, à Amiens.

Le 12 mars dernier, le tribunal correctionnel a condamné Gilles de Robien, ancien maire d’Amiens, pour « homicide involontaire dans le cadre du travail ».

Hector Loubota était décédé sur le chantier d’insertion de la Citadelle le 20 février 2002. Dès les premiers jours de l’instruction, l’évidence est apparue : « aucun filet de protection », « aucun suivi régulier », « aucune analyse préalable », « aucune mesure de prévention », « aucune sécurité collective », « aucune précision sur le nom des personnes chargées de la sécurité ». Rien. Et pourtant, malgré ces béances, ce dossier fut enterré avec talent par les magistrats, par la presse locale, par les élus évidemment. Il a donc fallu que la famille lutte durant treize années, aidée par leur avocat, soutenue par des Amiénois, pour qu’un jugement intervienne finalement.

Plutôt que de faire amende honorable, d’admettre qu’il avait lancé ce chantier de façon précipitée, n’importe comment, Gilles de Robien s’est défaussé de ses responsabilités. A l’audience, il a joué à « c’est pas moi c’est mon adjoint », « c’est mon chef des services », « c’est les bâtiments de France », etc. Et c’est donc logiquement qu’il fait appel.

Nous invitons les Amiénois à venir assister à ce procès.
Pour voir comment la justice est rendue en notre nom.

Certes, ce n’est qu’une injustice – et le monde en grouille aujourd’hui. Mais lorsqu’elle se déroule dans votre ville, presque sous vos yeux, avec la complicité des pouvoirs, c’est accepter toutes les injustices que de ne pas combattre celle-là.

"c’est la toute première fois qu’on nous entend"

En mars dernier, lors du premier procès, Bernard Loubouta, le père d’Hector, et Tina, sa sœur, avait pu s’exprimer, enfin :

« Qu’est-ce que vous voulez dire, Monsieur Loubota ?
- Euh, je veux d’abord vous remercier parce que, voyez-vous, le drame que nous avons connu s’est déroulé il y a treize années, et c’est la toute première fois qu’on nous entend. Mais j’aimerais que ce soit tout de même clair pour tout le monde ici présent, lorsque nous nous adressons à votre juridiction, c’est pour avoir une réponse aux responsabilités.
- Bien sûr.
- Tout de même, c’est tout de même un fils que nous avons perdu, vous comprenez ? C’est pas un lapin, c’est pas un chien, donc c’est pas une question qu’on peut évacuer comme ça, alors on ne peut pas nous dire “Allez au tribunal administratif, vous serez indemnisés, vous toucherez de l’argent”, c’est pas ça tout de même. Et je trouve ça un peu insultant, excusez-moi, on a à manger, vous savez, on n’est pas des animaux, qu’on nous dise, nous n’avons qu’une seule motivation, c’est une motivation financière. Non, monsieur le juge. Ce n’est pas une motivation financière qui nous guide.
- Oui, tout votre parcours le prouve.
- Nous voulons d’abord la vérité, ce qui s’est passé.
J’ai perdu mon fils mais tout de même, mais tout de même, lorsqu’un gamin a été tué, on ne dit pas aux parents “Voilà le chèque”. On ne dit pas d’avance “Il n’y a pas de responsable…”
- Pénalement…
- Pénalement, mais humainement. Ce sont tout de même des personnes, le maire, qui sont censées venir nous parler ! »
Bernard Loubota s’agite, sa voix s’élève, son débit s’accélère, presque en transe, et il faudrait mettre des points d’exclamation partout.
« Jamais je n’ai vu un haut responsable venir nous présenter ses condoléances. Personne. Mais un fait qui me paraît outrageux, le jour du décès de mon fils, je ne connais pas la dame qui est venue à ma maison, une soi-disant responsable de la mairie, qui vient me dire, Monsieur le président, alors que je viens de perdre mon fils : “Ça ne sert à rien de porter plainte, votre fils n’a pas eu de chance, c’est tout, et ça ne va pas vous le rendre.” Vous comprenez ?
On se moque de nous, Monsieur le président. Ça fait treize ans, treize ans déjà que nous avons déposé plainte. Est-ce que, vraiment, les magistrats d’Amiens ne voulaient pas de ce procès ?
- Je ne suis pas sûr que ce soit contre vous. Mais ces délais, ces dysfonctionnements judiciaires sont très difficiles à expliquer…
- Et lorsqu’en 2009, au premier procès, toutes les pièces sont là, et au dernier moment, l’avocat sort un document de nulle part, et après sept années d’instruction, sept années, le tribunal vient nous dire : “ On s’est trompés, c’est Monsieur de Robien mais on ne va pas le poursuivre ! ”. Et maintenant, on nous dit l’inverse : « Non, c’est plus Monsieur de Robien, c’est l’autre monsieur », mais de qui se moque-t-on, finalement ? On nous fait des tours de passe-passe… Mettez-vous un peu à notre place. »
Le président tente de reprendre la parole, de clore le propos, mais il ne le peut plus.
« Mesdames qui êtes assises là, votre enfant va au travail, il ne revient pas. Vous voyez ce que cela fait. Et là, on nous sort des papiers, des ceci des cela, tout le monde reconnaît que c’était n’importe quoi ce chantier, qu’on les a envoyés sans sécurité, et tous ces gens qui se disent responsables, avec le maire, tous, ils sortent des papiers comme quoi la sécurité c’est pas leur affaire, la sécurité c’est l’affaire de personne. On a envoyé mon fils là-bas, mais c’est quoi ? Je ne l’ai pas envoyé là-bas comme dans un abattoir, mais pour chercher à s’insérer dans la société.
Je vous prie de m’excuser, Monsieur le président, si je déborde, mais c’est le besoin de vérité, qui me conduit jusqu’à ce jour devant le tribunal. C’est tout. Ce ne sont pas les motivations financières qui me guident, que ce soit très très clair. Nous savons ce que c’est qu’un tribunal administratif, mais nous sommes là devant un tribunal correctionnel.
Enfin voilà. »

[*“par souci de bonne gestion”*]
« Merci, Monsieur. Mademoiselle, je vous écoute.
- Je me présente, je suis Tina Loubota, la petite sœur d’Hector.
Moi je me souviens de ce matin. Je me souviens quand ma directrice, au collège, est venue me chercher, me disant “Il y a quelque chose de grave qui est arrivé à ton frère”. Sur le chemin, on est passés devant la citadelle, je lui ai dit : “C’est ici qu’il travaille”, avec énormément de fierté.
« Vous savez, moi je n’ai aucune animosité contre M. de Robien, mais il ne porte pas plus que moi, pas plus que mon frère, le sceau de l’humanité. C’est ce qui justifie aujourd’hui notre démarche.
On ne se trompe pas de tribunal. Parce que nous ne sommes pas stupides, nous sommes éduqués, autant que toutes les personnes ici, et nous cherchons simplement à ce qu’à un moment donné, une personne se lève et dise, contrairement à ce que j’ai entendu tout au long de cette journée, “J’ai ma part de responsabilité”, pas seulement qu’ “il y a eu un loupé” mais “Je suis en partie responsable”, que ces gens ne se dérobent pas tout le temps. En début de journée, monsieur de Robien a dit, ce qui m’a interpelée, que cette fameuse note où il refuse une expertise, c’était “par souci de bonne gestion”, pour économiser 13 000 €, que c’était une bonne chose de se passer les études trop coûteuses. Pour moi, la bonne gestion, ç’aurait été, surtout, d’abord, de s’assurer que les mesures de sécurité étaient bien réalisées.
Je ne suis pas architecte, mais je vous parle en qualité de responsable sécurité au travail. Parce que dans ma famille, comme ni la mairie, ni la justice, n’a voulu réparer cette injustice, on a voulu le faire nous-mêmes. Alors, j’ai fait des études, pour travailler dans la prévention des risques au travail, ma petite sœur est également ingénieur dans la prévention des risques professionnels, mais on ne peut pas être les seuls à lutter contre ces accidents. Il faut aussi les institutions, pour garantir que cela ne se reproduise plus, pour bien marquer que c’est anormal, que les gens qui cherchent à gagner leur vie n’ont pas finalement à la perdre.
Pour finir, je m’adresserai à Monsieur de Robien. Je comprends que ça peut être difficile de reconnaître un tort, mais quand même on parle de mon frère. D’un jeune homme de 19 ans, qui est décédé sur un chantier où les conditions de sécurité étaient déplorables, et on ne peut pas décemment dire qu’il n’appartenait à personne de s’assurer que ces conditions de sécurité étaient mises en place.
Ce n’est pas décent.
- Merci mademoiselle. Merci beaucoup l’audience se termine. »

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  • Témoignages émouvants de la famille de ce jeune homme dont la vie s’est arrêtée sur ce chantier, à cause de la négligence pour ne pas dire du "j’m’en foutisme" ! Alors, j’espère que M. de Robien aura le courage et la décence de reconnaître sa part de responsabilité.