La Mairie K.O en Cour de cass’

par L’équipe de Fakir 01/11/2006 paru dans le Fakir n°(30) Octobre - Novembre 2006

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C’est une déculottée judiciaire pour la mairie d’Amiens : elle s’est fait débouter, à Paris, par la Cour de Cassation. Et tout ça contre qui ? Contre une salariée en Contrat Emploi Solidarité.

Car voilà à quoi servent nos impôts : à engraisser l’avocat de la Ville et à écraser une employée précaire.

C’est une saga qui démarre en 1994. Mademoiselle Dupont, avec un niveau bac G et sept années d’expériences professionnelles, est retenue « pour remplacer la secrétaire d’un élu ». Mais le lendemain, on l’avertit que, clientélisme oblige, « finalement, c’est un copain d’un cousin de je ne sais pas qui qu’on garderait. J’étais bouleversée. » En contrepartie, on lui propose un CES d’un an à l’Ecole Supérieure d’Art et Design. Au bout du rouleau de ses ASSEDIC, Mademoiselle Dupont accepte.

L’ « aide documentaliste » se débrouille pas mal, semble-t-il : son contrat est renouvelé pour un an, puis encore pour six mois, puis en 1996 on songe à l’intégrer vraiment. Dans une lettre adressée aux ressources humaines, sa chef souhaite ainsi « la consolidation de son emploi puisqu’elle connaît parfaitement le travail ». La réponse revient : négative. Dehors, lui signifie la Ville. Et aussitôt partie, un autre CES la remplace (1).

Elle tente alors, avec son compagnon, de rencontrer Gilles de Robien : « On a essayé je ne sais pas combien de fois de lui parler, une dizaine peut-être. » En vain : un grand homme ne se soucie pas des petits tracas de ses employés...

Marathon judiciaire

Remonté à bloc, le couple se lance alors dans une épopée judiciaire : tribunal administratif, prud’hommes, re-TA, juge des conflits, re-prud’hommes, juge départiteur, cour d’appel, cour de cassation, etc. Les juridictions leur donnent raison : sauf « dérogation exceptionnelle », un CES ne peut dépasser vingt-quatre mois (contre trente ici). Malgré cette simplicité arithmétique, la Ville d’Amiens s’obstine à jouer la montre, et fait systématiquement appel des décisions. Sans honte. Quelle « fierté d’être Amiénois », pourtant, lorsque tous les moyens (avocat, deniers publics, autorité du maire) sont utilisés contre une jeune femme dont le salaire culminait à la moitié d’un SMIC ? Et quelle gloire en tirer lorsque, en plus, les Goliaths municipaux sont terrassés, devant les hauts gradés de la magistrature, par une David à la frêle silhouette ?
Ce n’est qu’un cas isolé ? Certes : rares sont les kamikazes assez résolus pour affronter, huit années durant, les tribunaux et leur lot de lettres recommandées, conclusions à remettre, audiences repoussées, etc. Mais c’est un cas d’école, aussi. Qui pose trois questions, au moins, sur la gestion municipale.

1 – Dépenses publiques en famille

C’est au nom des Amiénois que la bande à Robien contraint Mademoiselle Dupont à toutes ces procédures. Et surtout, c’est avec notre argent. Car nos impôts locaux servent moins, ici, à lutter contre la précarité qu’à engraisser l’avocat attitré de la Ville : un maître Pouillot déjà bien portant, pourtant.
Nous avons adressé une lettre recommandée au cabinet du maire. Mais impossible de savoir combien nous ont coûté, depuis 1996, les prestations de cet immense plaideur. Impossible de vérifier, également, si le président du club de foot fut choisi, pour ce marché comme pour d’autres, après un appel d’offres. Ou si l’on a juste pioché son nom au hasard dans les pages jaunes...

2 –Dialogue d’autistes

Mademoiselle Dupont n’a cessé, depuis huit années, de rechercher une conciliation. Huit années à supplier des rendez-vous auprès du maire, huit années à envoyer des courriers à l’Hôtel de Ville. Qui sont restés sans réponse.
En mai dernier, encore, après sa victoire devant la Cour de cassation, elle s’adressait calmement à Brigitte Fouré : « Je vous saurais gré de bien vouloir, en votre qualité de représentant de service public, me faire savoir s’il vous paraît sage de voir cette procédure suivre son cours ?... la voie de la concertation me semble, pour ce qui concerne notre affaire, être la meilleure à suivre... je déplore que tous mes précédents courriers soient restés ‘lettre morte’... je reste persuadée que ces ‘fins de non recevoir’ ne sont, malgré leur récurrence, dues qu’à votre seul manque de temps... » Mais cette missive-ci est tombée à son tour dans l’oreille des sourds.

Avec des avocats et devant les tribunaux : voilà une vision moderne du « dialogue » (et de la « proximité », de la « démocratie locale », de l’ « ouverture » et de tous ces jolis mots qui agrémentent le JDA et les plaquettes municipales).

3 – Service public à durée déterminée

La Ville a recruté à plein tube des précaires à bas coût : des centaines de vacataires, de CES, de CEC, d’emplois-jeunes, etc. On faisait tourner le volant de main d’oeuvre : on prend on jette. Les « dispositifs d’insertion » ont disparu, et du coup des services entiers ont disparu.

En grandes pompes, et à coups de Unes du JDA, Gilles de Robien avait ainsi lancé les « ateliers multimédias » pour les écoles et les habitants. Les « animateurs » furent ensuite licenciés, et les sites se trouvent désormais à l’abandon.
Alors maire, mais se préparant pour son brillant ministère, Gilles de Robien adressait la consigne aux instits : ils devaient passer en ARS – en Aménagement des Rythmes Scolaires. Cours le matin, activités l’après-midi. Et tout le monde au pas sans discussion. Mais cet ordre venu d’en haut, et coûteux en salaire, est aujourd’hui passé de mode : seuls une poignée de classes pratiquent encore cet ARS.

On pourrait ajouter, encore, les bus-cyclettes à la gare, les « médiateurs » de la SEMTA, etc. Autant de services publics à durée déterminée, conçus sous le feu des médias, mais bientôt avortés dans l’ombre et en silence. D’où un bilan social inexistant : côté crèches, éducation, santé, vieillesse, qu’a inventé la dream team Robien-Henno-Fouré ? Pas grand-chose. Que laissera-t-elle ? Rien, juste la police municipale...

(article publié dans Fakir N°30, octobre 2006)

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Messages

  • Bonjour,

    De 2002 à 2008, j’ai subi toutes sortes de pressions par le maire de ma commune et le dgs. Epuisée par la lutte, victime d’un burn out, j’ai démissionné.
    Je fais partie de ces kamikazes dont vous parlez, j’ai saisi le TA contre la commune, attendu 3 ans pour gagner ...si peu... j’ai donc fait appel dans les 2 mois et je me bats encore et toujours contre l’administration et les abus de pouvoir.

    J’irai jusqu’au bout pour ma famille qui a souffert, et pour tous ceux qui souffrent.

    Pareil ici, les vacataires, le non respect des statuts, des aberrations phénoménales et l’argent des contribuables pour payer les frais de justice,

    Quand je me décourage et que je ne me sens plus assez forte pour continuer la lutte inégale, je me dis que pour faire bouger les choses, il faudrait en parler, les dire tout haut.

    la FPT est le terreau du harcèlement moral.
    Qu’on se le dise !
    Bravo pour votre article.