L’ex-mou du Vimeu

par François Ruffin 23/08/2009

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Fakir republie un article concernant Vincent Peillon qui fait en ce moment même le kakou dans son club "L’espoir à gauche". En vérité au centre.

C’était en 2008. A cette époque, Vincent Peillon se cherchait une place près de chez nous, dans le Vimeu. Il est aujourd’hui député européen dans le sud, mais une chose n’a pas changé : il reste une vraie girouette.

Les « orientations » de Vincent Peillon varient avec le sens du vent, et des courants. Un coup de barre à gauche en 2002, un coup de barre à droite en 2007. Le secrétaire de la fédération PS de la Somme s’appuie sur Jaurès, bien sûr, pour masquer la transition – voire la trahison – derrière la tradition.

Aux législatives de 2002, Vincent Peillon s’était déjà pris une taule, dans le Vimeu rouge, face au pâle Jérôme Bignon. Aux régionales de 2004, le même s’est dégonflé face à Gilles de Robien – et c’est l’inconnu Gewerc qui a raflé le fauteuil. Aux législatives de 2007, et malgré la vaguelette rose du second tour, les électeurs l’ont à nouveau renvoyé à sa philosophie. Et pour les municipales de 2008, après avoir joué l’Arlésienne des années durant, viendra viendra pas, ce timoré a renoncé.

Mais ce désaveu, constant, du suffrage universel ne lui interdit apparemment pas de pérorer. Il s’offre ainsi deux pages de tribune dans Le Nouvel Observateur, sous le titre : « Quel avenir pour la gauche ? » (23/08/07). Avec pareil conseiller, la voilà sauvée...

Et que dit-il ?

Rien.

Du verbiage comme quoi il faut « entreprendre enfin une mutation trop longtemps différée », opérer « un retour à la vraie tradition individualiste et non étatiste du socialisme français », s’imposer « des révisions courageuses et des audaces certaines dans notre doctrine, en commençant par faire l’analyse juste de la société et de la modernité ». Déjà, que Peillon parle de « courage » et d’ « audace », c’est comme un cul-de-jatte qui commenterait les compétitions d’athlétisme. Mais en décodé, en quoi consiste son « courage » ? Celui de la renonciation : il faut se recentrer. Comme si, en trente années de gouvernement et d’alternances, le PS n’avait pas conduit mille « révisions », au point de se retrouver sans « doctrine ». Le roi est nu, il faudrait qu’il se déshabille encore...

Jaurès contre les « tribuniciens »

Pour opérer cette transition – ou cette trahison – Vincent Peillon doit se réclamer de la « tradition » (comme un masque, le mot revient trois fois). Et donc, figure à la mode, il fallait citer vaguement Jaurès (à deux reprises) : « Cela supposera que nous ayons enfin le courage de nous affranchir des oripeaux gauchistes et tribuniciens, ‘des fanfares d’assaut’ pour parler comme Jaurès, qui nous encombrent encore. »

C’est original. Car que fut Jaurès, sinon un « tribunicien » ? Un « orateur populaire », d’après Le Petit Robert, « qui s’érige en défenseur du peuple » (voilà une étrange insulte, d’ailleurs, sous la plume d’un socialiste). Et Vincent Peillon d’ajouter plus loin : « Il y en a assez, pour une gauche qui se veut de transformation sociale et d’action, d’être toujours l’otage de ceux qui ne veulent pour rien au monde assumer l’exercice des responsabilités. » Or, que fut Jaurès sinon un « tribunicien » qui, justement, n’a « voulu pour rien au monde assumer l’exercice des responsabilités », gouvernementales en tout cas ? Car nos apparatchiks l’oublient volontiers, mais au nom de son espérance, fermement socialiste, jamais Jaurès n’a participé à un « ministère bourgeois ». Il en a soutenu, parce qu’ « il y a des heures où il est de l’intérêt du prolétariat d’empêcher une trop violente dégradation intellectuelle et morale de la bourgeoisie elle-même ». Il se fâcha parfois avec des amis du parti, qui se laissaient récupérer, attraper aux charmes des honneurs. C’est donc une prouesse que de mentionner Jaurès, au contraire, pour justifier une course au pouvoir, délestée du poids de ses convictions.

Prudhomme ou révolutionnaire ?

à force de lire Jaurès revisité par un Dominique Strauss-Kahn, ou par un Nicolas Sarkozy, le défenseur des mineurs de Carmaux devient un démocrate modéré, un bon père de famille qui alignerait gentiment les poncifs : « La nation, c’est le seul bien des pauvres », « le courage, c’est de choisir un métier et de le bien faire, quel qu’il soit », autant de pensées creuses à graver au centre des assiettes en porcelaine. Idem quand Vincent Peillon écrit que « nous sommes, comme le disait Jaurès, individualistes et non étatistes. » Sans doute l’a-t-il dit. Mais qu’a donc répété, et répété encore, le fondateur du journal L’Humanité ? Qu’ « entre les deux classes, c’est une lutte incessante du salarié, qui veut élever son salaire, et du capitaliste, qui veut le réduire ; du salarié qui veut affirmer sa liberté et du capitaliste qui veut le tenir dans la dépendance ». Que « le Parti socialiste est un parti d’opposition continue, profonde, à tout le système capitaliste, c’est-à-dire que tous nos actes, toutes nos pensées, toute notre propagande, tous nos votes doivent être dirigés vers la suppression la plus rapide possible de l’iniquité capitaliste ». Que « nous savons très bien que la société capitaliste est la terre de l’iniquité et que nous ne sortirons de l’iniquité qu’en sortant du capitalisme. »

On ne se réclame pas, nous, à Fakir, de Jaurès, loin de là. Mais enfin, comment accepter que nos dirigeants affadissent l’histoire ? Qu’ils transforment un révolutionnaire en un doux Monsieur Prudhomme, un brin lyrique mais asexué, prêt pour aucun combat. Et comble de retournement : en son nom l’on s’autorise, à droite toutes les injustices, à gauche tous les renoncements.

Car combien de fois, dans son texte qui se veut de refondation, combien de fois Vincent Peillon dénonce-t-il « l’iniquité du capitalisme » ? Aucune. Quand parle-t-il de « la lutte des classes », ou même des « classes » tout court ? Jamais. Et où énonce-t-il « ouvrier », ou « salarié », ou « employé », ou « patron », au long de ces 10 000 signes ? Pas à un seul endroit. Il imite en cela sa mentor, Ségolène Royal, dont Peillon fut le porte-parole durant la campagne. Elle non plus ne s’est guère attaquée, dans ses discours invertébrés, à la puissance de la finance, aux licenciements boursiers, à l’accumulation des richesses au sommet, à la montée de la précarité – des thèmes à peine évoqués... et avec moins d’énergie que Nicolas Sarkozy.

Non à Oulianov Hollande !

Qui, pourtant, d’après Vincent Peillon, qui a provoqué la dernière défaite ? Non pas la mollesse des socialistes, non pas la vacuité de sa candidate, non pas l’illisibilité de son programme, mais bien les « gauchistes » : « Car ce sont eux qui ont bloqué en grande partie notre capacité à formuler positivement un projet novateur et crédible. (...) A force de trouver la gauche pas assez à gauche, ils ont installé durablement la droite au pouvoir. » Il est vrai que le dernier gouvernement socialiste fut « assez à gauche » lorsque, par exemple, il a baissé la taxation sur les stock-options (qui touche les grands patrons) et augmenté la Contribution Sociale Généralisée (qui frappe tout le monde). Il fut si bien« à gauche », encore, « entre 1997 et 2002 », que « l’Insee recensera plus d’un millier d’entreprises publiques, maisons mères et filiales, passées dans le giron du secteur privé. Autant que sous la période 1993-1997, sous les gouvernements d’Edouard Balladur et d’Alain Juppé. Et le poids des salariés du secteur public dans l’emploi total sera réduit de moitié en cinq ans, passant de 10 % à 5 %» (1). Et si, plutôt que les « gauchistes », trente années de renoncements socialistes avaient simplement nourri notre mémoire, et notre résignation. Et si, à force de revirements, nous avions perdu le nord de notre boussole politique, et que les votes s’étaient égarés en route. C’est bien le diagnostic que portaient Vincent et les autres du NPS dans l’après 21 avril, recevant en retour une volée de bois de Jospin...

Depuis, lui aussi, a perdu son nord, et ses « orientations » varient au gré des conjonctures. Après 2002, avec Arnaud Montebourg, il « adoptait le credo économique et social de la gauche du PS », il tonnait contre « le très grand danger de la dérive sociale-libérale du PS », il invitait les socialistes à participer aux contre-sommets anti-libéraux (à Gênes, par exemple), et il fondait le courant « Nouveau Parti Socialiste » en vilipendant « la montée des précarités », « les tensions nouvelles et brutales entre ceux qui sont dans ‘l’assistance’ et ceux qui sont dans le travail difficile et mal rémunéré », en martelant : « écoutons moins les menaces des nantis et des arrogants ; entendons mieux la détresse des humbles. » Voilà qu’il a tourné casaque, qu’il consent à la « dérive sociale-libérale du PS » et s’en prend aux « gauchistes ».
Voilà qu’il a, parmi les premiers opportunistes, l’an dernier, rallié le panache haut dans les sondages de Ségolène Royal dont la consistance – idéologique n’avait rien à envier au flan. Voilà que qu’il se fixe désormais la vague ambition de « mettre la société en mouvement ». Voilà que la psychologie remplace la sociologie, et qu’il assène avec bravoure : « Ce n’est pas trahir que de vouloir faire tomber le mur de Berlin dans nos têtes ! »

Drôle de « courage », que de se lancer au son des trompettes contre les fantômes du passé : comme s’il existait le moindre risque que l’on confonde encore Dominique Strauss-Kahn, François Hollande, Ségolène Royal avec Lénine, Trotsky et Rosa Luxembourg. Deux décennies après sa chute, alors que des milliers d’écrivains, journalistes, politiciens ont dénoncé et re-dénoncé l’hydre du communisme, c’est une proposition « audacieuse », un beau combat pour le temps présent, que d’enfoncer la porte ouverte de Brandebourg. Bien plus urgent, pour un socialiste, et bien plus risqué, que de se heurter au mur de l’argent. Toujours debout, lui...

(exclusivité édition électronique)


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Messages

  • Bonjour (bonsoir plus exactement) le 22 mai 2012

    par paresse (ben ouais je suis paresseux) j’ai recherché sur votre site un des articles racontant les aventures de ce bon M. Peillon.
    J’ai le souvenir d’avoir lu sur votre journal (je suis un heureux abonné mais par flemme je n’ai pas voulu retourner la pile de journaux) les péripéties de ce grand homme, promu ministre aujourd’hui...j’avais besoin de me rafraîchir la mémoire, voilà qui est fait. Je vais dormir rassuré.