Etudiants, fils à papa ?

par L’équipe de Fakir 01/11/1999

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Dans un entretien avec le JDA (n°157), Bernard Risbourg, président de l’UPJV, se propose de « bâtir l’Université de tous ». Y’a du boulot. Car l’égalité des chances n’est pas à « protéger », elle reste à conquérir...

1. Accès à l’Université

Premier facteur d’inégalités : l’inscription à l’Université, qui suppose qu’on soit parvenu au lycée, qu’on l’ait traversé sans dégât et qu’on ait passé le bac avec succès.

D’entrée de jeu, les « Professions intellectuelles supérieures » sont sur-représentés : 8% des actifs en Picardie, 23% des étudiants. A l’inverse des « Ouvriers » : 41% des actifs, 16% des étudiants [1].

Et notre région n’est pas une exception. En France, dans la vie, on rencontre 27% d’employés. Contre 12% de leurs enfants dans les facs. 12% de cadres dans la vie. Contre 33% de leurs enfants dans les facs.

L’accès à l’université demeure donc fortement déterminé par les origines sociales.

2. Répartition selon les facs

En pharmacie, à Amiens, 42% des étudiants sont fils et filles de cadres. D’ouvriers : 6%. En médecine, on retrouve des statistiques semblables : respectivement 45% et 7%. En Lettres (au sens large, Socio, Psycho, Histoire, Langues...), ça s’équilibre : 17% pour les « Professions intellectuelles supérieures », 21% pour les « Ouvriers ». [2]

Parmi ceux qui accèdent à l’université, 53% des enfants d’ « Ouvriers » s’inscrivent en Lettres. Contre 48% des « Employés », 40% des « Intermédiaires », 30% des « cadres ». Plus on s’élève dans la hiérarchie sociale, moins l’on tend à s’engager dans cette filière. La courbe s’inverse avec les branches Santé : parmi les « Ouvriers », seuls 5% se lancent en Médecine ou Pharmacie. Contre 10% pour les employés, 12% pour les intermédiaires, 16% pour les « cadres ».

Or, on le sait, les Sciences humaines n’ouvrent qu’à un avenir incertain. Au mieux, à l’enseignement. Au pire, à rien. Dans tous les cas, jamais à des carrières lucratives. A l’opposé, les facultés de Médecine et de Pharmacie proposent, elles, des débouchés clairs, rentables et valorisants. En fait, on retrouve les classes dominées dans les filières les moins prometteuses. Et inversement.

La filière « choisie » par l’étudiant dépend souvent des origines sociales. De sorte que seules se démocratisent, si démocratisation il y a, les facultés qui forment aux emplois les moins rémunérateurs. Ou à pas d’emploi du tout.

3. Réussite à l’université

Il est bon d’accéder à l’université. Il est encore meilleur d’y réussir et d’y décrocher un diplôme.

Or, l’année dernière, à la fac de médecine, on trouvait 14% d’« Ouvriers » en première année. En seconde, ça chute à 1,4% ! Mouvement inverse chez les cadres : on passe de 32% en première année, à 47% en seconde.

En France, les « Ouvriers » représentent 13% des étudiants de premier cycle. 10% du second. 6% du troisième. Plus on avance dans le cursus universitaire et plus leur part se réduit. Tout le contraire chez les cadres : 27% du premier, 34% du second, 47% du troisième.

Seuls 45% des fils et filles d’ouvriers entrés à la fac parviennent en licence. Ce taux de réussite grimpe à 69% parmi les « Professions intellectuelles supérieures ».

4. Ingénieurs ou techniciens

Pour effectuer des « études supérieures », d’autres voies que la fac sont possibles. Les bacheliers peuvent ainsi se tourner, soit vers des classes prépas (hypokhâgne, HEC, maths sup), soit vers des écoles de commerce ou d’ingénieurs dites « intégrées » (de type ESIEE ou UTC), soit vers des STS (DUT ou BTS).

Alors que, dans la région, on ne compte que 8% de cadres, leurs enfants investissent 49% de l’Université Technologique de Compiègne. Le contraire pour les ouvriers : 40% de la population active, 6 % des sièges à Compiègne. Evidemment, en BTS, sur Amiens, les résultats s’équilibrent : 37% d’ouvriers et 9% de cadres. Or cette division scolaire préfigure le partage des tâches du travail : de l’UTC, on sort avec un diplôme d’ingénieur. Après un BTS ou un DUT, on devient technicien.

Cette inégalité a des causes multiples : environnement familial, âge de la première lecture, choix de l’école, investissement psychologique et financier des parents... Résoudre cette injustice n’est donc pas simple, et il ne s’agit aucunement d’accuser la fac, ou les profs, ou les bourgeois. En revanche, le silence des politiques et des médias est plus coupable : se taire, c’est signifier que ce problème n’en est pas un, ou du moins pas une priorité. « La vraie démocratie, déclarait Gambetta, ce n’est pas de reconnaître des égaux, c’est d’en faire. » On attend toujours.

C’est pas simple...

Si vous souhaitez connaître le nombre de pots de yaourt à la myrtille consommés au printemps 1966 parmi les plus de cinquante-cinq ans dans le village de Bouzencourt, l’Insee vous rapportera dix mille chiffres et quinze graphiques. En revanche, pas de chance pour l’inégalité des chances : après trois heures d’épluchage des Notes d’information de l’Éducation Nationale, on finit par tomber sur une statistique nationale. Quant à l’académie d’Amiens, la responsable, fort zélée, vous extraira des archives un tableau datant de... 1974 ! Maigre récolte.

On se tourne alors vers la fac. L’accueil nous indique le service scolarité qui nous renvoie vers les informaticiens qui réclame une autorisation de la vice-présidence qui nous introduit dans le bureau de Bernard Risbourg. Souriant et courtois, le président de l’UPJV se félicite que nous lancions « un journal qui dérange un peu, impertinent quoi ». Bien. Il est favorable à une « totale liberté de la presse ». Parfait. Il prête déjà, avec une certaine gourmandise, « son flanc à [nos] critiques ». Excellent. Mais... « Excusez-moi... En fait, je viens, c’est pour une autorisation... pour des statistiques... sur l’inégalité des chances à l’Université. » Ca se gâte, on dirait : « Ah là non, c’est pas possible... la responsable est débordée... pis on se méfie, ce genre de chiffres, on peut les utiliser n’importe comment... et vous faudrait un ordinateur, un très gros, pour ce genre de calculs. » Bon bon, j’insiste pas.

Finalement, on a rendu visite au rectorat. Trois jours après, ils nous adressaient soixante pages de pourcentages. Merci à eux. [3]


[1Cette statistique ne tient pas compte des sans-emplois, retraités ou chômeurs.

[2Qu’il y ait davantage d’ « Ouvriers » que de « Cadres » ne signifie pas que règne l’égalité des chances. Loin de là. Qu’on se réfère toujours à la répartition des actifs. (Toutes ces statistiques m’ont été données par le rectorat d’Amiens. Merci encore.)

[3Pour aller plus loin, à lire : Pierre Bourdieu, Les Héritiers, Editions de Minuit.

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  • c’est le fondement de notre société qui est remis en cause avec ces inégalités . Les laissés - pour - compte , nous les retrouverons plus tard ... dans les urnes !!!Que de discours sur l’égalité des chances et sur la Déclaration des Droits de l’Homme !! Il y a de plus en plus d’inégalités à tous les niveaux : nous allons dans le mur car moins il y a de culture plus il y aura de fascisme .