Du plomb dans le labo

par L’équipe de Fakir 01/04/2006 paru dans le Fakir n°(27) Mars-Avril 2006

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Grande première en France : le président du Conseil général, Daniel Dubois, a décidé de fermer le laboratoire départemental. C’est de ce labo qu’était parti, notamment, le scandale du plomb dans l’eau en 1991. Puis, en 2002, la découverte du tétrachloréthylène à la Zone industrielle. Alors, un choix de bon sens ou une basse vengeance ?

Daniel Dubois a pris une décision de « bon sens » : « la fermeture du laboratoire départemental » afin d’épargner « 600 000 E de déficit ». Une grande première en France : tous les départements du pays conservent leur labo, pour analyser l’eau, pour prévenir « le charbon », « les toxines botuliniques » et autres « contaminations par des micro-organismes » (dont « le H5N1 »). Mais nous, notre eau est saine, point. Nous, nos 783 communes peuvent adresser leurs échantillons ailleurs. A Nancy, par exemple, pour Amiens...

Une chercheuse se rebiffe

Cette fermeture, « un drame sanitaire », d’après Etienne Lacroix, « conseiller en ingénierie chimique pour les industriels » : « J’avais choisi celui d’Amiens parce c’est un des meilleurs de France. Pasteur Paris ils se débrouillent, Pasteur Lille sur certains tests, l’Oise c’est aléatoire, mais la Somme c’était l’excellence. D’ailleurs, c’est le seul à être invité pour des conférences en Angleterre, et c’est le premier qu’on ferme dans l’Hexagone ! »

Une autre spécialiste s’est alarmée : Jeanne Orfila, professeur honoraire en bactériologie, en virologie, en immunologie à la faculté d’Amiens, invitée dans les congrès américains etc., une sommité quoi. Dans une lettre ouverte (voir encadré), elle relève qu’« il est choquant de parler de charge supportée par le contribuable alors que ce laboratoire travaille pour celui-ci. (...) A titre d’exemple une chlamydiose détectée permet d’éviter une stérilité tubaire et ses conséquences, à savoir la mise en oeuvre d’une procréation médicalement assistée. Le coût réel est encore de 15 E à comparer à 40 000 E minimum pour une PMA. Ce laboratoire détecte en moyenne 4 à 5 chlamydioses par semaine, le bilan annuel est donc rapidement évaluable. »

Souvenirs, souvenirs...

Alors, pourquoi supprimer ce service public ?

Juste parce que, dixit Daniel Dubois, « le RMI et la loi Handicap » se trouvent désormais « à la charge des Départements » qui se déchargent donc du reste : la santé, l’environnement, etc.?

L’universitaire Orfila livre un autre indice : « J’ai pu comme vous apprécier le rôle majeur de ce laboratoire dans des problèmes aussi importants que le plomb, les légionnelles, les eaux de mer... » Le plomb ? Eh oui, le plomb !

C’est de ce laboratoire départemental que, en 1991, est parti le scandale. Son directeur découvre, en mars, « un taux de plomb dans l’eau d’alimentation pouvant atteindre jusqu’à dix fois la concentration maximale admissible ». Aussitôt, le président du Conseil Général Fernand Demilly est averti, le maire d’Amiens Gilles de Robien, etc. « Face à l’ampleur et à la gravité du problème », souligne toujours le Docteur Sueur, il lui semble « capital d’informer dès le mois de juillet les populations particulièrement exposées, à savoir les femmes enceintes et les enfants. Chaque jour perdu est un jour important. » Mais le printemps passe, l’été, l’automne, et rien ne vient. Jusqu’à ce 21 novembre où l’information filtre dans les médias, une nuée de caméras atterrissent à Amiens : « Je suis époustouflé par la teneur en plomb révélée, s’étonne merveilleusement Gilles de Robien. Je convoque le directeur de la DDASS », lui qui avait attendu six mois. Mais dans les couloirs moquettés, on a retenu un nom...

Récidive

« Malheur à l’homme par qui le scandale arrive ». D’autant que le laboratoire récidive en février 2002 : cette fois, c’est du tétrachloréthylène, un solvant cancérigène, qui est détecté dans les robinets de la Zone Industrielle. « Les ouvriers ont bu ça durant des années, remarque Etienne Lacroix. Une affaire longtemps étouffée, on le savait pourtant depuis mai 98... » Et cette fois, c’est la Chambre de Commerce et d’Industrie que le laboratoire se met à dos.

La vengeance est un plat qui se mange très froid, parfois glacé. Et il est bien possible que le laboratoire paie, non son coût, mais au contraire sa qualité, sa compétence. Qui ont déjà épargné à Amiens deux catastrophes sanitaires.

Un journal aux « ordres »

En 1991, le Courrier picard (alors va-t-en-guerre contre l’Hôtel de Ville) titrait : « Exclusif ! Eau polluée : ce qu’on vous a caché » avec Gilles de Robien dans la ligne de mire. De l’eau (sans plomb) a depuis coulé sous les ponts de la Somme et la politique éditoriale a légèrement évolué...

Universitaire mondialement reconnue, Jeanne Orfila connaît bien le laboratoire d’ Amiens : elle collabore avec lui depuis plus de dix ans. C’est pourquoi un article du quotidien régional (en date du 28/12/05), et qui justifiait cette fermeture, la hérisse : elle adresse alors, le 13 janvier, une réponse au journal. Rien n’est sorti : « Le Courrier picard a reçu des ordres de ne pas publier cette lettre », affirme un salarié du journal..

On comprend alors mieux les confidences d’un rédacteur chef : « Vous savez que, ici, c’était tendu entre la mairie et le journal. Un de mes objectifs, c’est de faire vraiment de mon mieux pour que ça s’arrange. » Et l’on partage la satisfaction d’un Gilles de Robien : « Le Courrier picard s’est beaucoup beaucoup amélioré. »

Reclassement

Fermeture oblige, la DRH du Conseil général à bien dû mal à reclasser le personnel. Ainsi, une laborantine, « qui possédait toutes les compétences scientifiques », trie aujourd’hui des archives au Conseil Général. Un ingénieur en « climsu » est recasé dans la « création d’entreprises », un spécialiste dans l’analyse des eaux s’occupe « un peu de l’accueil, un peu du courrier », un seul a trouvé un poste à peu près équivalent au laboratoire vétérinaire, les deux pharmaciens et le médecin sont toujours en attente. Voilà des compétences scientifiques bien employées...

Science picarde

En décembre dernier, Nicolas Lottin, élu CPNT au Conseil Général, réclamait une subvention de 50 000 E pour la Fédération Régionale de Chasse. Ou alors, il refuserait le budget, et mettrait donc la droite en minorité. Qu’à cela ne tienne : Daniel Dubois a aussitôt mis cette proposition aux voix. Adopté.

Plus de 300 000 F pour quoi, au fait ? Pour que l’OMPO (Oiseaux Migrateurs du Paléarctique Occidental, une annexe de CPNT) réalise une étude sur la grippe aviaire, notamment via un voyage au Sénégal. Voilà qui sera plus efficace que le Tamiflu. Voilà un rapport, surtout, qui, par son sérieux, concurrencera sans doute celui de Xavière Tibéri. D’autant que l’OMPO a déjà conclu, sur cette pandémie, qu’ « il n’y avait pas lieu de prendre des mesures entravant la liberté de loisirs (chasse, tourisme ornithologique) » (communiqué du 22/11/05).

Enfin, le Département sait parfois réaliser des investissements sanitaires durables...

(article publié dans Fakir N°27, mars 2006)

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